Critique contenant un spoil.

Alors, nous avons deux sœurs, Odile et Camille. Odile (Sabine Azéma dans un film de Resnais ? Quelle surprise !) pense avoir trouvé l'appartement de ses rêves grâce à Marc (Lambert Wilson). Le mari d'Odile, Claude (Pierre Arditi) est moins convaincu, et surtout tout cela ne l'intéresse pas vraiment, tout comme son couple en général, où il se sent étouffé par sa femme. Camille (Agnès Jaoui) prépare sa thèse sur les fameux chevaliers-paysans de l'an mil au Lac de Paladru et, en même temps, sert de guide dans les hauts lieux parisiens ; une sur-activité qui a pour but de cacher, tant bien que mal, ses véritables problèmes. Elle tombe amoureuse de Marc, l'agent immobilier de sa sœur, qui est un véritable salaud et un manipulateur. Elle rencontre aussi Simon (André Dussollier, absolument génial) qui assiste à toute ses visites et en est secrètement amoureux. Simon est l'employé de Marc, maltraité par un patron qui cherche tous les moyens pour le ridiculiser. Parmi les clients de Simon, il y a Nicolas (Jean-Pierre Bacri), qui cherche un appartement parisien pour lui et sa petite famille, sauf qu'il est de moins en moins évident que sa famille va le suivre ici...
Voilà voilà... Vous avez déjà essayé de résumer un film choral, vous ? Parce que là, c'est franchement galère.
Bon. Tout le monde connaît le principe du film : des chansons sont intégrées aux dialogues, de façon inattendue, créant une sorte de décalage fort sympathique et plutôt comique.

Mais l'aspect joyeux n'est qu'une façade et celui qui regarderait ce film pour son humour risquerait d'être fort déçu. D'abord, les chansons ne sont pas si nombreuses. De plus, On connaît la chanson cache bien des choses derrière cette façade.
Il s'agit, entre autre, d'une analyse intéressante des rapports sociaux. Mensonges, hypocrisie, volonté de domination, regard des autres et sur les autres, il y a bien des sujets abordés dans ce film.
Prenons un simple exemple : souvent, les personnages émettent des jugement les uns sur les autres. Et bien souvent, ces jugements hâtifs, à l'emporte-pièce, se révèlent complètement erronés. Odile et Camille voient Nicolas accompagné d'une jolie femme ? Elles en concluent qu'il trompe son épouse. Faux : il accompagne une cliente. A l'inverse, Camille rencontre Marc alors que celui-ci pleure. Elle en conclue qu'il est sensible, alors qu'il a simplement un rhume.
Tout cela sert à mettre en évidence les rancœurs des uns pour les autres, rancœur que Camille est la seule à exprimer clairement lorsqu'elle traite Nicolas de con (jugement là aussi erroné qu'elle révisera plus tard). Rancoeurs qui éclatent au grand jour lors de la magnifique scène de la pendaison de crémaillère, point d'orgue du film, avec l'une de ces grandes idées de mise en scène qui, avec peu d'effets, disent beaucoup : les méduses, symboles d'atmosphère électrique et de propos empoisonnés.

Outre les relations sociales, le film s'attarde avec acuité sur les relations de couple. Avec acidité, même. Et le happy end concernant Camille ne doit pas (et ne peut pas) être l'arbre qui cache la forêt : On Connaît la chanson est un film sur les couples en crise. Un couple, dans ce film, c'est, à chaque fois, la volonté de domination d'une personne sur une autre. Claude qui reproche à Odile de vouloir constamment lui imposer ses points de vues et ses idées. Le même reproche est fait par Nicolas à sa femme (interprétée par Birkin). On sait que le couple Odile-Claude est plus qu'en danger et qu'il ne bénéficie que d'un sursis temporaire. Quant à Nicolas... il se comporte déjà en homme résigné à son célibat, acceptant de chercher un studio et non un appartement familial.
Les chansons savent intervenir pour dire ce que pensent les personnages, des pensées intimes parfois contredites par les actes. Claude qui vient vers sa femme en chantant "Je suis venu te dire que je m'en vais" ou Camille et Marc entonnant un duo d'amour qui proclame leurs désirs sexuels. Mais, là aussi, les convenances sociales empêchent la pleine réalisation, le passage à l'acte.
Outre les chansons, les interventions de la musique sont particulièrement bien calibrées. L'interprétation est à la hauteur, avec une mention spéciale pour Dussollier (le voir en Garde Républicain chantant "Vertiges de l'amour" ou savourer son duo avec Bacri "Avoir un bon copain...", c’est un régal). Un grand film qui se cache derrière une apparence ludique.

Pour le plaisir, la bande annonce, qui m'avait fait hurler de rire (surtout l'intervention de Bacri, à la fin) :
http://www.youtube.com/watch?v=-H5cnMKfeoI
SanFelice
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le 15 mars 2014

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SanFelice

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