Bien que né à Nazareth et ancrant ses films successifs dans le périmètre ô combien symbolique de la Palestine ou de la Cisjordanie, le réalisateur Hany Abu-Assad tente toujours de leur imprimer une dimension universelle et intemporelle où les personnages intrinsèquement humains, donc faillibles et imparfaits, font face à la complexité abyssale des émotions et de sentiments. Omar, le jeune héros de son dernier long-métrage éponyme, n’échappe pas à la règle : autoproclamé combattant de la liberté avec ses potes Tarek et Amjad, il participe à une première opération qui tourne mal. Rattrapé par l’armée israélienne, il devient l’objet d’une terrible transaction où la trahison vaut le montant de sa liberté, et notamment de vivre son amour avec Nadia, la sœur de Tarek.

Au-delà des frontières d’un territoire qui exalte et éprouve plus que partout ailleurs les notions d’honneur et de confiance dans un tourbillon vertigineux encore accéléré par la promiscuité et la paranoïa sans bornes des militaires et des services secrets israéliens, Omar parvient donc à les dépasser et à faire de son héros une figure éternelle du doute qui vient subitement fragiliser les fondations à peine terminées de l’amitié et de l’amour naissant. Au pied du mur qu’Omar escalade régulièrement pour rejoindre ses amis et grappiller quelques instants clandestins avec Nadia, le film prend les allures d’un thriller rythmé par les poursuites incessantes de la police, dans les ruelles et maisons labyrinthiques, qui ramènent avec une tenace récurrence Omar à la case prison et à ses interrogatoires sadiques. Seuls les moments volés auprès de Nadia apparaissent comme apaisés, même si l’angoisse et la perspective du pire ne sont jamais bien loin.

Pris malgré lui dans un engrenage qui le broie et l’instrumentalise, l’idéaliste et absolutiste Omar endosse les habits du collaborateur, écartelé entre la fidélité aux amis et à la cause palestinienne et la pression insidieuse des agents tout-puissants d’Israël. Porté par des acteurs en état de grâce, dont l’incandescent Adam Bakri qui crève littéralement l’écran aussi bien dans les séquences physiques que dans les scènes plus intimistes, le dernier film du réalisateur de Paradise Now réussit à nous tenir en haleine et ne jamais relâcher la pression. La nervosité fait ainsi jeu égal avec la grâce, dans une mise en scène précise et brillante, qui tourne le dos au manichéisme et à la simplification. Loin de tout angélisme, le film nous laisse avec un terrible goût d’amertume dans la bouche, tristement persuadés de l’irrésolution éternelle d’un conflit sans cesse alimenté par une haine ancestrale et inextinguible.
PatrickBraganti
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Fims vus en 2013, Palmarès des films 2013 et Les meilleurs films de 2013

Créée

le 16 oct. 2013

Critique lue 927 fois

12 j'aime

Critique lue 927 fois

12

D'autres avis sur Omar

Omar
LauraT12
10

Critique de Omar par Laura Thieblemont

Omar. Que ne se dit-on pas à la sortie de ce film ? Car il sert aussi à bousculer les consciences et j’ose espérer que nous fûmes nombreux à penser : Comment pouvons- nous continuer à assister à...

le 20 oct. 2013

4 j'aime

Omar
dillinger0508
8

Critique de Omar par dillinger0508

A l'instar d'un Bullhead qui osait la transposition du film noir en campagne flamande, Omar est un film noir qui aurait troqué ses inspecteurs américains pour des soldats israëliens et ses nuits...

le 24 nov. 2013

3 j'aime

Omar
BaptisteR
5

Omar - Hartley Coeur à vif en Cis-Jordanie

Alors oui le titre est sévère, mais sincèrement, c'est méga cucul-la-praline quand même. Omar vit en Cisjordanie. Habitué à déjouer les balles des soldats, il franchit quotidiennement le mur qui le...

le 20 oct. 2013

3 j'aime

1

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

89 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5