Napolitain d’origine, Mario Martone a fait de sa ville natale le fil conducteur de toute son œuvre : après l’avoir filmée dès ses débuts en 1992, avec Mort d'un mathématicien napolitain, jusqu’au récent biopic sur le dramaturge napolitain Eduardo Scarpetta (Qui rido io, 2021), il n’aura eu de cesse de sonder l’âme de cette cité aux tréfonds aussi volcanique que le Vésuve. Il récidive de nouveau avec Nostalgia, dont le récit prend racine dans le quartier pauvre de la Sanità, espérant ainsi traquer quelques fantômes de son passé.


C'est ce que l’on ressent, forcément, dans sa manière de filmer, au passé comme au présent, les balades à moto dans les ruelles de la ville de son héros. Quarante ans après son départ, Felice a totalement changé de vie, de langue et même de religion, mais il est bouleversé par ses retrouvailles avec les couleurs, les parfums, les saveurs de son enfance, le goût des polpettes de sa mère, les promesses d’un verre de vin… Le personnage s’accroche à ses souvenirs pour reconstituer ses repères et reconstruire son identité. Mais ce qu’il cherche a-t-il vraiment existé ? Les images qui lui traversent l’esprit ne sont-elles pas le fruit de son imagination ? Il reprend le cours de son existence à Naples là où il l’avait laissé quarante ans plus tôt. Un fossé se creuse entre la peur que les autres ressentent dans les rues dominées par la mafia, et l’insouciance juvénile de ce quinquagénaire qui continue à explorer la ville avec ses yeux d’adolescent désormais expatrié. Après avoir appartenu à la Casa Nostra, dans Le Traître de Marco Bellocchio, Pierfrancesco Favino change de camp et devient un citoyen lambda, un individu étranger dans sa propre ville natale. Il offre à Mario Martone l’occasion de porter un regard critique sur ce qu’est devenue Naples au regard de son passé exceptionnel (avec notamment l’évocation des catacombes San Gennaro). Une manière aussi de confronter le mythe à la réalité d’aujourd’hui.


Mais peut-on vraiment renouer avec son passé ? C'est la question que pose Martone à travers l’errance de son personnage. Plus qu’un simple décorum, Naples et ses mystères deviennent le terrain d’une enquête aux accents identitaires où se croisent deux figures tutélaires antagonistes, deux faces d’une même pièce napolitaine, celle du prêtre défendant des valeurs morales et celle d’Oreste parlant le langage de la violence. Une confrontation qui permet à Martone de mettre en scène cet imaginaire italien inlassablement hanté par ces institutions séculaires que sont l’Eglise et la mafia, l’ordre spirituel et l’instance criminelle. Une démarche ambitieuse, certes, mais que Nostalgia peine à concrétiser tant sa mise en scène demeure trop classique et peu propice à marquer véritablement les esprits (hormis quelques jolis moments, comme la scène où Felice donne le bain à sa mère).


Il manque sans doute à Nostalgia ce qui faisait la saveur si particulière de Residue, le premier long-métrage de Merawi Gerima. On s’en souvient ce dernier, sur la même thématique du retour aux origines, était parvenu à creuser ses souvenirs en adoptant différents modes filmiques, donnant ainsi une vraie densité à ce qui est de l’ordre de l’intangible. Mario Martone, au contraire, en se bornant à une mise en scène conventionnelle, donne à ses fantômes personnels des allures de clichés éculés, des airs de déjà vus : comme ces séquences en flash-back, vues à travers un filtre vintage ; ou encore ces personnages archétypaux de voyous qui semblent tout droit sortis du Gomorra de Matteo Garrone. Une représentation convenue qui dépossède le film de toutes aspérités, ou originalité, condamnant le récit à n’être cousue que de fils blancs.


Faute de nous surprendre ou de nous émouvoir, Nostalgia cerne Naples dans sa matière, ses couleurs et son ébullition, exaltant d’une certaine façon les charmes mystérieux de la ville.

Procol-Harum
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le 6 janv. 2023

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