Pendant une quinzaine de minutes, marchant dans les rues humides aux éclats vifs d'enseignes multicolores, j'ai plus ressenti que pensé. Et songé au fait que juste avant d'aller voir Nocturnal Animals, film dont je ne connaissais absolument rien, j'ai pensé, en laissant vagabonder mon regard, à quelqu'un qui, malgré les années, compte encore beaucoup pour moi. Malgré l'absence et les silences de plus en plus prolongés. Curieuse ruse de la vie...


Nocturnal Animals a fait ressurgir en moi d'étranges sentiments que je croyais éteints. Le délice, tout d'abord, de voir réalité et fiction se mêler. En forme d'étrange équilibre et de film imbriqué dans un autre, dont la nature et la vision sont profondément influencées par l'état d'esprit de sa lectrice et le visage qu'elle projette sur certains personnages fictifs.


Le spectateur ne peut qu'épouser le point de vue offert par les beaux yeux tristes d'Amy Adams, avant de deviner, plus que comprendre, que le réel contamine, par de simples détails ou ressemblances, la fiction qui est tout à la fois lue par Amy et mise en image par un Tom Ford convaincant, remarquable et sûr de son fait. Il alterne en effet la violence la plus stressante avec l'amour le plus pur, il substitue à la tristesse infinie de la perte l'envie de vengeance qui dévore. Et crée une sorte de résonance, tout en nourrissant le trouble et les sentiments étrangement familiers qui ne m'ont plus lâchés.


Le rythme du film, lui aussi, est étrange : mêlant réalité et fiction, Tom Ford brouille aussi sa ligne de temps à mesure qu'il déroule son intrigue et se permet de larges pauses sur ce qui anime ses personnages principaux, qu'ils soient de chair ou de mots. Pour les premiers, ou plutôt la première, la caméra silencieuse va jusqu'à caresser sa peau veloutée, ou s'arrêter sur une larme brillante qui coule de ses grands yeux perdus. Les seconds sont nourris de longs dialogues éclairant leur état d'esprit, reprenant les techniques les plus usitées de l'écrit.


C'est peut être sur ce terrain que Nocturnal Animals gagne ses galons de bon film. Et ce au détour d'une simple phrase, d'un conseil concernant le caractère personnel de l'écriture. En perspective avec la scène finale, c'est toute la volonté, toutes les intentions, toutes les blessures et les séquelles que soigne l'acte de création qui sont finalement questionnées. Jusqu'à reconsidérer la fiction décrite dans le film non comme une "simple" histoire de vengeance altérée par les projections du vécu douloureux du personnage d'Amy Adams, mais aussi comme une manifestation de la vie intérieure de l'auteur, de ses obsessions, de ses regrets, de ses failles. Ou encore de la manière dont il se fantasme ou dont il voit son reflet dans le miroir de la page blanche.


Jusqu'à cette scène finale silencieuse, d'une tristesse infinie quand on réalise que l'on a laissé sa propre vie nous échapper. Terriblement cruelle, terriblement destructrice aussi,


dans une volonté de souffrance bien supérieure au cauchemar déployé dans un simple manuscrit dédicacé.


Avant de faire la critique de ce Nocturnal Animals, Behind a repensé à ce qu'il avait écrit. Une centaine de pages qui resteront sans doute au fond du tiroir où il les avait oubliées. Parce qu'en les écrivant, il avait soigné ses blessures. Un peu. Et parce que l'affection, comme une lueur dans la nuit, existe encore.


Behind_the_Mask, qui n'aura jamais le courage de faire publier son bouquin.

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le 9 janv. 2017

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