Une bande de racailles avec toutes les couleurs de Paris (et pas de politique)

Ce qui partait pour être un film d'anticipation a pris des allures de film d'actualité. Bonello (Tiresia) a écrit le scénario dès 2011, avant de réaliser L'Apollonide puis Saint Laurent. Nocturama sort un an et demi après les attentats de Charlie Hebdo (janvier 2015), dix mois après le carnage du Bataclan (novembre 2015) et est tourné entre-temps (l'été 2015). Contrairement à Made in France, ['Paris est une fête' devenu] Nocturama est donc passé entre les mailles du filet de la bienséance et a pu connaître une carrière normale (et donc en toute liberté se crasher en termes d'entrées). Il présente un groupe de jeunes de 15-25 ans à l'initiative d'une série d'attentats simultanés dans Paris. La première heure est occupée par les préparatifs puis la mise en pratique, le reste se déroule dans un centre commercial où les terroristes se sont réfugiés. La mise en route se fait attendre, il faudra la 40e minute pour que, tous réunis, ils parlent explosifs (scène lapidaire) ; dix minutes plus tard les explosions se produisent dans quatre points névralgiques (ou seulement symbolique concernant la statue de Jeanne d'Arc) de la capitale.


La mise en scène de Bonello est réfléchie, dédaigneuse, pleine d'une agressivité planquée et tentée par l'abstraction. L'exposé est très long, le film rempli par des allées-et-venues, des pincées d'éruptions kikoos et impulsions infantiles en continu. La narration est plutôt éclatée, en particulier dans la première partie, avec ses bouts du Jour J dispersés (et ses longues séquences dans le métro, destinées à flouer la surveillance et nous abrutissant en passant), qui engloutissent la présentation générale de l'avant-attentat. Certains morceaux ressurgissent, parfois avec des variations – comme l'abattage du roux 'lâché' brusquement (juste avant le grand moment) après avoir été rapporté indirectement. Cette tendance à cumuler atteint son paroxysme lors de l'assaut, où le film s'applique à montrer une action sous toutes ses coutures ; ça ressemble à des rapports croisés de caméras de surveillance, vu d'en-dedans.


En bout de chaîne Nocturama est dépolitisé. Car eux le sont, le film l'est en les reflétant ? Au mieux il n'y a que des détails : nous avons deux musulmans (mais homos genre folles de Las Vegas en même temps) et le Science-Potard BCBG est cynique sur la civilisation et la démocratie dans ses copies. Mais quelles sont les motivations, les parcours personnels, quel est le projet social et idéal ? S'ils sont simplement des nihilistes complets, pourquoi le sont-ils et à quoi bon cet engagement ? À quoi rime cette radicalité puisqu'elle est animée au maximum par des fantasmes à peine formés de puissance, de chaos, ou des intentions morales fantoches – dans le cas où il y en aurait ? Beaucoup de choses sont ignorées ou négligées dans Nocturama. L'inconséquence attribuée aux terroristes doit probablement cautionner tous ces angles morts, mais elle semble surestimée.


Pourquoi ont-ils choisi d'attendre jusqu'au lendemain matin au magasin, en quoi le lieu les protègent ? Pourquoi et comment comptent-ils sérieusement ne laisser aucune trace ? S'ils ont oublié ce risque, pourquoi sont-ils si attentifs et organisés par ailleurs ? Qu'ils agissent sans soutien, seuls pour leurs opérations, c'est-à-dire seuls pour ce quadruple attentat instantané, devient anormal dans ces circonstances. Enfin le film fonctionne sur l'ignorance de l'essentiel et des principes du réel. Non seulement la société est quasi hors-champ, ou plutôt figurante, mais on ne sait rien des réactions à l'attentat. Eux-mêmes pendant leur repli tardent à voir (et à chercher) des infos – et ne savent même pas les prendre quand ils sont face à des postes télé.


Même si la compassion voire l'empathie sont toujours rendues accessibles, le discours à l'égard des poseurs de bombes est cruel et méprisant. Ils sont antisystème par leurs attentats or de fait, jusqu'ici, ils sont encore obsédés par les produits de la société, ses flatteries pour les bonnes ouailles (c'est-à-dire les consommateurs et généralement les bons travailleurs/ inclus/ investisseurs de confiance). Ils s'exaltent sur une pop tapageuse ou un hip-hop criard, en enfilant des accessoires de luxe ou un costard ; ils se donnent aux joies consuméristes les plus débiles, récupèrent un peu de ce luxe qu'ils ont dû tant convoiter, activement pour certains qui en étaient si loin, prudemment ou passivement pour la plupart. Une once de misanthropie dégouline de Nocturama, spécifiquement anti-jeunes : ces activistes de la dernière génération sont écervelés et /ou à idéalisme venteux. Ce sont les petites lucioles francisées du Glamorama de Breat Easton Ellis, inspiration déclarée à l'instar d'Assaut de Carpenter et du Discours de la servitude volontaire (et des émeutes ethniques de Birminghan en 2005 d'après Wikipedia).


Comme cousin d'Elephant de Van Sant (récit subjectif au côté des lycéens tueurs de Columbine) Nocturama est plus crédible [qu'en film sur les tensions du monde]. L'intérêt de ce manège est la liquidation 'héroïque' mais aveugle de tous ces jeunes, investis dans une tragédie précoce. Peut-être marchent-ils vers un suicide collectif convoité, redouté, mais au fond accepté – l'aventure semble davantage les motiver que le martyr. D'où cette prise d'otage sans otages, autres que les preneurs perdus dans un engagement trop puissant pour eux – tellement qu'ils s'épargnent le stress et les urgences, les interrogations à la hauteur. Bien sûr ils sont un peu anxieux sur le moment (en moyenne) mais restent des sortes de missionnaires nonchalants, qui malgré leur innocence appelleront des conséquences dramatiques. Ils obtiendront une réponse drastique, interdisant la négociation et la justification ; logique lorsqu'on a attaqué, fermé le dialogue avant même de le concevoir ; pas très grave au fond (le débat n'y perd pas, aucun combat n'est affecté), quand on a rien à revendiquer d'autre que ses petites tempêtes incommunicables et mal gérées.


https://zogarok.wordpress.com/2017/03/05/nocturama/

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le 4 mars 2017

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Zogarok

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