« Leur rêve américain est plus gros que le vôtre ». Voilà la phrase promotionnelle qui résume tout le propos de Pain & Gain, ou l’histoire de trois bodybuilders mettant à rude épreuve leurs trois neurones pour accéder à leur définition de l’american dream en empruntant le même genre de raccourcis que ceux avec lesquels ils gonflent leurs muscles. Leur plan : monter une arnaque pour dépouiller un affreux plein aux as. Mais c’est sans compter leur bêtise qui ferait passer le Butch de Pulp Fiction pour un génie. A l’arrivée Pain & Gain est la bonne surprise de la fin d’été 2013. Épinglant au passage le matérialisme, le culte de l’argent et le racisme ordinaire de l’américain moyen, c’est une comédie assurément lourdingue mais aussi corrosive et méchamment drôle.


La réussite de ce film est d’autant plus surprenante qu’elle est l’œuvre de Michael Bay, réalisateur qu’on aura peut-être trop vite classé dans la catégorie des portes-drapeaux de l’Amérique ultra-patriote qui fait tout péter. Car ce qu’il fait exploser cette fois, c’est précisément cette réputation. Il vient très justement donner (relativement) tort à tous ses détracteurs - moi le premier - en se révélant parfaitement conscient de la façon dont les films hollywoodiens - et particulièrement les siens - creusent l’écart entre image et réalité des Etats-Unis. Non pas qu’il se soit soudainement trouvé une âme d’auteur, mais il se révèle ainsi beaucoup moins patriote au premier degré que cynique ; ce qui, rétrospectivement, transparaissait en fait déjà dans ses Transformers où il semblait prendre un malin plaisir à ridiculiser certaines figures américaines traditionnelles (que l’on pense au portrait dégénéré et hystérique qu’il faisait de la sacrosainte famille américaine).
Dans Pain & Gain, cette conscience d’un rapport faussé à la réalité transparaît autant dans le fond que dans la forme. Il s’agit d’abord de la très bonne idée de partir de personnages de culturistes pour parler des excès d’une société qui s’auto-parodie. Le film raconte en effet les mésaventures de trois personnages qui prennent pour modèles de réussite les plus grands gangsters de l’histoire fictive des Etats-Unis. En citant très sérieusement Michael « Le Parrain » Corleone et Tony « Scarface » Montana, Daniel Lugo fait preuve d’une double méprise dans son interprétation de la réussite à l’américaine. Il se réfère à des personnages qui, en plus d’êtres fictifs, sont déjà eux-mêmes les incarnations du dévoiement du rêve américain. Et pour illustrer la vision du monde déformée de ses antihéros, le réalisateur utilise à bon escient son style si caractéristique.


C’est une des marques de fabrique du cinéma de Michael Bay : chez lui tout est plus beau et tout est plus gros que dans la réalité. Les actrices sont des mannequins, les lumières, filtrées, font de jolis reflets, les images, lissées, sont parfaites…, comme dans une pub pour du parfum : une réalité « photoshopée ». Mais ce parti-pris esthétique trouve ici une réelle pertinence dans sa capacité à illustrer le rapport au monde des personnages. Poussées jusqu’à la caricature, ces images crient toute leur fausseté ainsi que celle du monde en toc dans lequel vivent Lugo et ses complices : un monde tout droit sorti d’un clip de Snoop Dogg, un monde artificiellement gonflé, comme l’image de Wahlberg dans la scène de la piscine, ou lorsqu’il crie, comme pour s’auto-persuader, « J’suis beau ! j’suis fort ! ». Et plus encore, tous ces effets de style - arrêt sur image ou ralenti monté sur un air, approprié, de Gangsta’s Paradise - permettent de saisir nos trois escrocs dans leur plus glorieux et joyeusement débiles moments de connerie.


Car c’est bien l’humour le principal intérêt de ce film dont les références sont la comédie trash, les délires tarantinesques, l’absurde des frères Cohen, ou encore les dialogues de Shane Black. Michael Bay signe là une pure comédie bête et méchante où, mis à part le personnage de Ed Harris - seul à avoir encore la tète sur les épaules - , personne n’est épargné, bourreaux comme victimes. Et l’histoire qu’il nous raconte est d’autant plus délirante que, dans les grandes lignes, elle est vraie, chose qu’il ne manque pas de nous rappeler régulièrement. C’est d’ailleurs l’un des principaux ressorts comiques du film. Comment peut-on réellement faire preuve d’autant de bêtise ? La question se pose à chacune des nouvelles « brillantes » idées de Daniel Lugo, Paul Doyle et Adrian Doorbal. Et le réalisateur joue habilement de cette « invraisemblance véridique » en faisant, façon Scorsese, raconter leur délirants parcours aux personnages, ou en affichant des commentaires bien sentis sur les images (« ceci est encore une histoire vraie », « effets secondaires de la cocaïne… »).
Mais dans le même temps, le fait que cette histoire n’ait pas été totalement inventée rend parfois le rire un peu coupable, car les victimes du Sun Gym Gang ont, elles aussi, bien existé. Autre élément un peu gênant, l’humour parfois douteux du réalisateur quand il se complait dans les clichés sur les juifs ou les blondes. Pour autant, Michael Bay a beau retomber à plusieurs reprises dans ces tics les plus grossiers, il n’empêche que l’on rit beaucoup, et notamment grâce au sens de l’autodérision des acteurs.


Le moins connu des trois têtes d’affiche, Anthony Mackie, était jusque là plutôt un habitué des rôles sérieux dans des films tout aussi sérieux voir dramatiques (Half Nelson, Démineurs). C’est donc une agréable surprise de le voir aussi à l’aise dans le rôle d’un culturiste benêt dont la virilité a été quelque peu mise à mal par l’abus de stéroïdes. Mark Wahlberg, quant à lui, n’en est pas non plus à sa première comédie, et Ted - sa dernière en date - à prouver qu’il a tout à fait sa place dans le genre (peut être encore plus que dans les films sérieux d’ailleurs). Mais la véritable révélation de Pain & Gain, c’est bien l’irrésistible prestation de Dwayne « The Rock » Johnson. Déjà prometteur sur le papier, son personnage bénéficie très largement de sa capacité à jouer avec son image de nouveau Schwarzenegger spécialisé dans les films à haute teneur en testostérone. Difficile de rester de marbre face au personnage qu’il campe : un ex-taulard cocaïnomane repentis ayant trouvé Jésus (alléluia !) mais qui déraille complètement dés lors qu’il retombe le nez dans la poudre (mention spéciale à la scène du barbecue). Le réel talent comique de l’ex-star du catch (déjà pressenti dans Southland Tales) est au final la révélation et la meilleure surprise d’un film déjà très étonnant.


Michael Bay n’était certainement pas attendu sur ce terrain, et encore moins avec de la réussite. Il prouve pourtant qu’il est capable de faire autre chose que de la destruction massive sur écran. Dommage que ce ne soit qu’épisodique.

Toshiro
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le 19 déc. 2014

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