Mais que se passe-t-il dans l'industrie hollywoodienne? Serait ce enfin l’évolution tant attendue, la prise de conscience que les intrigues lourdes de sens et tendues, empruntant aux névroses contemporaines ne sont plus envisageables? La violence et le chaos ont été célébrés ou décriés jusqu'à l'absurde depuis les années 2000 . Mais jamais l'absurde n'avait pris le pas sur la violence par un artisan purement hollywoodien de la trempe de Michael Bay (Armaggedon, Rock, Bad Boys, Transformers). C'est à dire que sous son apparente légèreté, le film semble férocement décrier toute la violence abusive des fictions contemporaines. C'est pour cela que le mastodonte Dwayn Johnson, alias The Rock, représentant d'un cinéma musclé et spectaculaire, va même jusqu'à vomir et pleurnicher devant tant de violence. "On avait dit pas de violence", hurle-t-il à un Mark Wahlberg déchaîne et survolté. Oui mais, « no pain, no gain », on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs, et blablabla. Est ce donc l’inévitable solution pour faire fortune de nos jours? Réussite alimentaire, pornographie, ou criminelle? La morale est lourde mais astucieuse. Tout le monde semble avoir mieux réussi que ces trois apprentis truands ratés. Même le policier retraité campé par Ed Harris dore au soleil en jouant au golf dans sa jolie villa. 


Quel étrange objet que No Pain, No Gain, véritable tragi-comédie absolument loufoque et ébouriffante. Les habituels travellings, marques de fabrique du cinéaste, portent cette fois ci une inquiétante étrangeté par les tensions creuses et superficielles qu'ils génèrent. De toute façon, le fiasco de l'opération est déjà connu, puisque le film s'ouvre sur un flash-forward, tuant ainsi tout suspens. C'est plutôt par le détournement de son propre style et de ses genres favoris que le cinéaste éveille la curiosité. Le détournement de superstars de l'action vaut également, à lui seul, le coup d'oeil.


Tout commence par une narration parcellisée et éclatée, donnant au rythme des allures d’électron libre incontrôlable. La fluidité des mouvements de cameras de Bay ne cachent pas les hachures narratives, inévitables du fait de l’éclatement du point de vue. Plusieurs voix off se croisent et s'affrontent, plongeant le spectateur dans un véritable trouble narratif. La transparence esthétique ne semble plus une priorité, et l'exposition, même si elle globalement comprise, parait toutefois confuse. C'est la conséquence d'un travail de mise en scène sur le détournement - détournement des croyances et des idoles. The Rock est absolument incroyable en drogué immature, et Mark Wahlberg prouve encore, depuis les Infiltrés et Ted son aisance pour les rôles comiques et déjantes. Les personnages de No Pain, No Gain, de toute façon, baignent toujours entre lucidité et profonde stupidité. 


Le pari est ainsi réussi. Faire douter le spectateur dans le choix même de ses émotions: s'amuser ou s'offusquer? Rire ou profondément être dégoûté. Le flou concerne également la classification générique : Film d'action. Mais où est-elle, cette action? Pas de fusillades injustifiées ni de cascades spectaculaires. Plutôt une suite de scènes parodiques et minimalistes, un genre de policier « cheap » avec les moyens du bord, orchestré par trois guignols qui de toute façon ne pouvaient faire mieux, même si la production disposait d'un budget confortable. Ce qui le rapproche de son cousin actuel, White House Down, décrié pour ses effets spéciaux mauvais malgré son budget. Plus que jamais, il est envisageable de penser que tout est volontaire.


L'illusion d'action, donc, est simplement instaurée par le dynamisme et le rythme infernal et soutenu de la mise en scène. Et on peut détester pour ça, pour cette paradoxale absence de fluidité et cette déconstruction qui hache le film. Mais tenir un tel rythme pendant 3h, cela relève de l'exploit. Une parfaite osmose entre les acteurs, le découpage et le montage. Montage qui se joue également des alternances surprenantes et des échos a travers les plans. La logique narrative est forcément dépassée dans ce chaos visuel de bêtise, qui permet ainsi de proposer des solutions de montage plus idéologiques, plus discursives. Quel est le discours dans ce cas? Dénonciation de la violence? De l'absurde? De la passivité d'un public qui rit alors qu'il devrait pleurer? Ou simple argumentation contre les croyances et l'obsession? Obsession du culturisme pour les personnages? Obsessions esthétiques pour le cinéaste? Obsession du spectacle absolu pour les producteurs. Dans ce tourbillon d'obsessions et de logique de "répondre à la demande du public", Michael Bay a réussi le rêve de tout auteur. Apres une longue filmographie de destruction et de couleurs flashs, d'une esthétique impeccable et lumineuse, il a enfin trouvé un aboutissement. L'éclatement de ce beau monde ensoleillé et de ces couleurs pastelles - comme l'illustre d'ailleurs le générique de fin, avec ses gouaches étalées sur l’écran, est la pièce manquante du puzzle, donnant enfin un sens à l'ensemble de son oeuvre. En jouant à fond la déconstruction et en plongeant dans l’autodestruction, Michael Bay signe, comme Emmerich avec White House Down, son chef d'oeuvre du genre, sans prétention, avec légèreté, avec fraicheur, en pur marchand de spectacle. Mais un spectacle profondément et volontairement dérangeant, allant jusqu'à écoeurer, à tous les niveaux, le spectateur, et au risque de perdre certains fans du cinéaste. C'est sans doute le sacrifice nécessaire pour faire à nouveau évoluer un genre qui s'enlisait dans l'apitoiement et l'autocritique.

Alain_Zind
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le 3 oct. 2013

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Alain_Zind

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