Rakel, 23 ans, en colocation, gaspille la plupart de son temps dans sa chambre crade, aussi pleine de saletés que son compte en banque est vide de liquidités. Elle rêve à tous les projets du monde, ce qui veut dire qu’elle ne fait pas l’effort d’en concrétiser un. Elle passe son existence à boire, à se droguer, occasionnellement à baiser. Elle griffonne quelques dessins avec talent, sans la moindre ambition professionnelle. Enfin, dire qu’elle rêve de tous les projets du monde n’est pas tout à fait exact. En fait, la maternité ne l’intéresse pas, mais alors pas du tout. Alors quand elle se rend compte, sans avoir tenu compte des quelques timides avertissements de son corps, qu’elle est enceinte de six mois et demie… ben, ce n’est pas la joie. Il est trop tard pour avorter. Le fournisseur accidentel de sperme est un loser aussi pathétique qu’elle. Ne reste plus que la solution de confier la future progéniture à l’adoption…

Bon, si vous vous attendez à une condamnation bien moraliste d’une pécheresse punie par le destin, que c’est bien fait qu’elle va morfler, elle n’avait qu’à pas baiser à droite à gauche sous l’effet de choses pas très recommandables, etc., vous vous mettez le doigt dans l'œil. C’est un film profondément féministe (au passage, il y a une discussion au cours du film sur les différents moyens de contraception faisant pertinemment et implacablement comprendre que c’est un peu trop souvent à la femme de morfler à ce niveau-là !) et qui a le grand mérite d’assumer son propos jusqu’au bout.

Il y a du Juno dans le portrait de cette femme qui ne veut pas élever soi-même son enfant, mais le confier à quelqu’un d’autre. Et il y a aussi de sa compatriote du pays d’Ibsen, Julie (en nettement plus trash quand même !) de Julie (en 12 chapitres) dans ce refus de la maternité. Sauf que dans le Trier, ce sujet était en filigrane. Alors qu’ici, c’est affiché, c’est vraiment la thématique centrale. Non, toutes les femmes ne sont pas faites pour être mère. Non, certaines d’entre elles sont capables de s’accomplir ailleurs, sans passer forcément par la case “enfanter”. Voilà une évidence pas si évidente que cela pour une partie non négligeable de la société.

Mais ce n’est pas par le regard de cette dernière (ce qui évite un angle “tract” qui aurait pas mal phagocyté la subtilité du tout !) sur le refus d’être mère que l’ensemble se déroule, c’est à travers la vision de notre personnage principal. Une vision dans laquelle sa psyché, ses pensées s’incarnent dans des parties animées (par le biais des graphismes de ses dessins !), lors desquelles elle peut être amenée à dialoguer avec son fœtus qui ne cesse de la hanter mentalement. En conséquence, ce type de séquences n’est pas là pour faire genre, mais a une véritable utilité, une véritable fonction narrative.

Autrement, la réalisatrice Yngvild Sve Flikke n’alourdit jamais le trait, ne tombe jamais dans la caricature. Certes, le ton est principalement à la comédie (même si dans le dernier quart l’émotion prend naturellement et graduellement sa place dans le récit !), mais la description des personnages n’est jamais méchante. Chacun d’entre eux est attachant, est juste plus ou moins dépassé par les événements. Ainsi, si on prend par exemple la protagoniste, OK, elle ne souhaite pas élever son enfant, OK, elle souhaite le confier à quelqu’un d’autre, mais si elle est incapable d’avoir le point de vue d’une mère, elle se montre profondément empathique en ne voulant pas confier à n’importe qui le fruit de ses entrailles au lieu d’être en mode “je m’en bats les ovaires !”.

Qu’ajouter de plus ? Ah si, quand même, la charismatique Kristine Kujath Thorp, dans le rôle principal, est absolument remarquable. Elle réussit à équilibrer la vivacité et la drôlerie, insufflant beaucoup d’énergie ainsi que provoquant de nombreux éclats de rire, avec de la sensibilité.

Pour conclure, Ninjababy est féministe, juste et marrant.

Plume231
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le 22 sept. 2022

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