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Je vais tenter d'être concis. L'histoire ou plutôt la prémisse est simplement excellente et merveilleusement mise en place. Et puis cette histoire qui creuse douloureusement sur la question quasi anthropologique d'humains tellement vulnérables à leurs frustrations cachées et aux manipulateurs sociopathes qui parviennent à les exploiter, sujet follement passionnant en soi, se noie dans un dénouement archi classique, réduit à trois personnages, convenu, téléphoné même et cruellement dénué de surprise car par trop noyé de références et d'appels du pied méta au point qu'on est pratiquement dans du fan service. Tout y passe, on commence avec Freaks, la série Carnivale très présente, Sous Le Plus Grand Chapiteau du Monde de Cecil B de Mille et puis subitement on bascule dans Le Grand Sommeil, les Diaboliques et Assurance sur la Mort avec force plans hitchcockiens tout du long. Ca phagocyte forcément un peu le propos à la longue.
Avec un titre qui faisait appel au polar urbain et à l'horreur dans un contexte circassien, la bande annonce nous prévenait déjà qu'on risquait d'être confronté à une multiplicité d'angles tenant du non choix.
Alors j'adore Del Toro, en particulier le Labyrinthe de Pan, Blade 2, Hellboy 2 et Pacific Rim avec une belle option sur l'Echine du Diable et je sais ce que ses afficionados les plus zélés me répondront sur son usage des couleurs, du cadre, de le langueur de plans, du symbolisme, des niveaux de lectures et autres mises en abyme et tout et tout et je ne conteste pas ça mais la qualité essentielle de ce type de films pour moi tient d'abord à l'histoire et c'est ce qui ici est totalement gâché par cette virtuosité un peu stérile qui perd de vue son sujet en cours de route. On nous propose un personnage sombre limite sociopathe et taiseux qui, de son sex-appeal naturel (qualité injuste par excellence) et d'un talent qu'il se découvre à exploiter les faiblesses psychologiques des individus comme des foules va devenir un manipulateur dénué de tout scrupule et... ben non on finit sur un bête drama intime avec un meurtre quasiment héroïque d'un homme qui ferait passer Dark Vador pour un personnage ambigü. Notre protagoniste est victime des circonstances, de quiproquos malheureux et de ses propre colères morales qui achèvent de lui donner une image imméritée et de protagonistes tous plus immondes les uns que les autres. Il en finit quasi angélisé et on passe bien à côté du propos moral (mais pas moralisateur) qui était envisagé au départ. On partait sur Breaking Bad / Better Call Saul ou le Talentueux Mr Ripley et on finit dans un épisode bateau de fin de saison comme on en a vu mille avec pour le coup un propos moralisateur pour le moins énaurme. A ce titre la série Carnivale avec le personnage du prédicateur était tellement au dessus en termes de traitement du spectacle comme instrument de pouvoir. Mais bon.
Bradley Cooper est ici à contre emploi, ce comédien si sympathique dans un rôle de sociopathe aurait pu être bien utilisé en jouant de son charisme naturel par contraste avec des coulisses bien moins reluisantes mais là, non, c'est manqué, passées les 30 excellentes premières minutes il devient un personnage tout à fait aimable qui, certes, trompe un peu sa copine, séduit par une femme fatale (qui y résisterait au moins sur le papier ?), aime un peu trop l'argent et le mensonge qui lui a permis d'arriver au statut social qu'il espérait et tâte un peu de la bouteille sans que le sujet de l'alcoolisme ne soit abordé en soi. Mais on est loin du personnage qu'on essaie de nous vendre, du narcissique sociopathe à la Walter White qui se croit supérieur et autorisé à s'abstraire de toute position éthique. Non juste une histoire d'arnaqueur arnaqué et victime non pas de ce que lui même a mis en place mais d'une humanité au final bien pire que lui.
Enfin sur le plan formel Del Toro, contrairement à Fincher ou Lynch par exemple, ne sait pas filmer les instants de révélation. L'apparition du fantôme dans le jardin est dépourvue d'angle, elle n'est pas terrifiante ou glaçante (il aurait pu se permettre cette coquetterie puis qu'on sait déjà qu'il s'agit d'un subterfuge) ni pathétique du point de vue de Rooney Mara, juste elle arrive et voilà comme un cheveu sur la soupe.
Au final et comme je le dis dans le titre de mon sujet, j'ai trouvé le film très bon, frôlant parfois l'excellence mais incroyablement frustrant dans le même temps pour toutes les raisons que je viens de citer. j'en ressors déçu. reste cette vision foraine des premières minutes ou toute la gourmandise graphique du réalisateur aura su s'épanouir, c'est ce que j'en retiendrai principalement et, au vu des efforts déployés et de ce qu'aurait pu ou dû être ce film, c'est tellement immensément dommage.

uzralk
8
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le 9 avr. 2022

Critique lue 40 fois

uzralk

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