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Et la malédiction de la quête de statuettes frappa de nouveau…

Alors oui – je me doute bien – on me rétorquera sûrement qu’il y a d’autres explications à ce que j’avance ; que Guillermo Del Toro avait certainement une passion dévorante pour le Nightmare Alley original de 1947 ; qu’il voulait rendre hommage et patati et patata… Pourquoi pas.
Il n’empêche que pour ma part, au moment de sortir de ces cent cinquaaaante minutes de film je n’ai rien vu d’autre que ça : une putain d’envie d’Oscars.


Mais elles sont terribles en fait ces statuettes quand on y pense.
Sitôt on en a reçu qu’on semble être prêt à tout pour en avoir à nouveau.
En voyant ce Nightmare Alley de 2022 j’ai eu l’impression de revoir Hazanivicius au lendemain de sa consécration avec The Artist, multipliant dès lors des films susceptibles de plaire à l’académie comme si – tel un Gollum – il voulait à nouveau remettre la main sur son précieux.
Tout dans Nightmare Alley semble calibré et formaté pour correspondre aux exigences académiques du moment. : reconstitution soignée d’un passé pas si lointain, forme classique respectant la patine élégante des films d’antan, introduction de figures ou d’instants pouvant faire écho aux luttes morales du moment ; alignements d’acteurs et d'actrice de renom, de beaux décors et de beaux costumes… Toutes les cases sont cochées pour que les papys de l’académie soient contents…


Alors après – j’en conviens – le fait de se plier à tous ces critères peut faciliter l’émergence d’un film plutôt agréable à regarder – et c’est ici le cas – mais on ne va pas se mentir non plus, c’est aussi la plus sûre assurance d’avoir un film lisse.
Et moi c’est surtout ça qui m’a exaspéré en voyant ce Nightmare Alley. C’est que c’est juste putain de lisse.


Je veux bien que les décors soient jolis ou que Bradley Cooper et ses acolytes soient très bons, il n’empêche qu’à bien tout prendre (et histoire de citer un célèbre philosophe corrézien), ce film m’en a touché une sans faire bouger l’autre.
En quoi ce parcours tragique tout ce qu’il y a de plus classique est-il censé me toucher ?
Stan part de rien, il trouve refuge chez des forains, il y apprend l’art de vivre en dupant et en exploitant les gens, on lui annonce alors que s’il cherche à trop user de ces usages immoraux il finira par chuter de haut, mais Stan s’y risque malgré tout, il signe un pacte avec le diable et – ô gigaaaaantesque surprise ! – au bout de 150 minutes de film il finit…


…par s’écrouler après avoir connu la gloire, sombrant chez les forains, là où on lui avait dit qu’il sombrerait.


C’est du classique de bout en bout. Impossible pour moi d’être surpris. Impossible pour moi de ne voir autre chose que des acteurs qui font les acteurs à Oscar habillés dans des costumes à Oscar, déambulant dans des décors à Oscar et le tout filmé par un réalisateur qui crie à longueur de temps « mon préciieuuuuux ! »


Alors après, je ne dis pas, ça m’arrive d’aimer le classique. Mais à un moment donné il faut que ce soit au moins au service de quelque-chose ; quelque-chose du moins qui dépasse le simple hommage et la simple technicité.
Or là je trouve la thématique fade au possible, ressuscitant le plus basiquement du monde un arc tragique éculé, et en plus le tout sans parvenir à vraiment faire ça toujours bien.


Parce qu’à bien tout prendre, il est quand même sacrément surchargé en fioritures inutiles ce Nightmare Alley.
La première partie concernant la vie de forain de Stan est longue et démonstrative. Chaque personnage et chaque situation sont présentés à la queue-leu-leu. Et à cela s’ajoute des scènes qui ne sont là que pour mettre en avant les acteurs ou que pour cocher des cases moralinantes.


Par exemple pourquoi la vieille Zeena décide-t-elle de branler le jeune Stan dans sa baignoire ? Parce que ce sera utile plus tard dans l’histoire ?
Parce que ça va permettre de révéler les personnages ?
Non. Rien de tout ça. Ce n’est clairement là que pour faire bon genre, un peu comme quand Eliza se branlait elle aussi dans sa baignoire dans la forme de l’eau. C’est tellement progressiste de montrer que les femmes se masturbent ou que les femmes mures ont encore une vie sexuelle, m’voyez. Ça rompt avec les stéréotypes qu’Hollywood veut bannir au profit des nouveaux qu’il veut imposer !


La seconde partie fut par contre plus intéressante à mes yeux, et ça je le concède volontiers.
Pour le coup l’intrigue y est enfin pleinement lancée ce qui permet au moins de mettre les choses en mouvement. Par contre la prévisibilité et la conventionalité des enjeux n’auront jamais permis – en tout cas en ce qui me concerne – de vraiment faire lever le soufflé.
Le film se finit d’ailleurs comme attendu.
On regarde les choses juste pour la justesse de l’exécution et that’s it.


Mouairf…
Eh bah c’est triste tout ça moi je trouve.
Quand je regarde ce que c’était un film de Guillermo Del Toro il y a grosso modo vingt ans c’était quand même autre chose.
Mimic, l’échine du diable, Blade 2, Hellboy, le labyrinthe de Pan : c’est bien simple, moi je ne jette rien.
Tous ces films avaient une patte, une identité, une technicité et surtout ils exploraient.
Ils étaient le cinéma des années 2000. Ils ont imprégné leur époque de leurs marqueurs.
Mais là, quand je regarde ce Nightmare Alley, j’ai beau voir une patte et de la technicité, le fait que j’ai du mal à distinguer cette patte et cette technicité de celles de Tom Hooper dans son Discours d’un roi ou bien de celles de Peter Farrelly dans Green Book (...Allez, peut-être la photo, concédons-lui ça.)
C’est certes beau. C’est propre. Ça plaira à mémé. Mais par contre ça reste putain de lisse.


Alors soit, qu’on leur donne des Oscars à ces gens si c’est vraiment ce genre de cinéma là qu’il convient de valoriser, après tout moi je m’en fous.
Par contre je trouve juste triste que cette année Spielberg nous fasse un West Side Story et Del Toro un Nightmare Alley juste parce que l’envie de statuettes les a titillés.
Et le pire c’est qu’ils ne seront peut-être même pas satisfaits puisque l’ami Ridley a tellement été peu subtil dans cet appel du pied moraliste qu’a été son Dernier duel que c’est peut-être bien lui qui va remporter la mise au final.
Donc comme quoi, au jeu de l’académisme et autres conventions, c'est souvent en trop les respectant qu’on finit couillon comme cochon.

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le 21 janv. 2022

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