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J'ai une bonne et une mauvaise partie, laquelle voulez-vous en première ? C'est en effet un Guillermo del Toro peu inspiré qui, avec Nighmare Alley, passionne autant qu'il déçoit. Ce récit en demi-teinte n'est pas une surprise tant le poétique, mais assez limité La forme de l'eau montrait déjà un certain manque de relief dans ses personnages et dans son cheminement narratif sans surprise.


Nightmare Alley est une fable sombre où les monstres habituels de Guillermo del Toro sont des hommes et des femmes à l'appétit insatiable. Ce besoin radical de puissance dessine des âmes peu reluisantes évoluant dans une première partie immersive qui préserve son indicible mystère avec brio. C'est dans la fange des allées poisseuses de fêtes foraines de l'Amérique des années 40 que le spectateur entre dans son train fantôme avec pour seul guide un homme peu bavard dont Bradley Cooper interprète cet étrange représentation désinvolte arrivant à préserver ses glaciales zones d'ombres.


Au gré des découvertes, nous retrouvons un Guillermo del Toro maîtrisant l'art de l'image iconique, un conteur qui jonglant avec les couteaux de son art narratif d'où émane un suspens envoûtant. Des personnages irisés s'emploient à rendre palpable ce milieu sordide où la monstruosité contrefaite de l'exhibition foraine se confond avec celle parfois bien réelle de celle des forains. Willem Dafoe, Toni Collette, Rooney Mara, Ron Perlman, Paul Anderson, David Strathairn, Mark Povinelli, ... autant d'actrices et acteurs talentueux pour illustrer certains péchés capitaux dans un univers où le mystique a une place de choix.


Guillermo del Toro est dans son élément naturel et prend un malin plaisir à ménager un suspens qui n'a de cesse de mûrir. Si en parallèle nous découvrons dans ces allées sordides la photographie paradoxalement vive de Brantd Gordon, les magnifiques décors de Tamara Deverell et les costumes de Luis Sequeira, et la séduisante composition musicale de Nathan Johnson, ... rien ne laissait présager de ce qui allait suivre...


C'est l'histoire d'une histoire qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien... le problème ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage.


2 ans plus tard. Ce n'est que par ces simples mots elliptiques que Guillermo del Toro semble capituler et troquer son talent pour une mise en plis machinale et désincarnées. En traitant son sujet d'étude en surface, il le dépouille de toute sa complexité intrinsèque. Ce 2 ans plus tard se privent de ce qui faisait la force de ses deux personnages principaux, leur ascension avant la chute. La chute n'a plus d'impacte si l'ascension n'existe que dans l'imaginaire de son auteur, d'autant plus que cet univers avait tout pour nous offrir de belles péripéties. 2 ans plus tard, c'est deux ans trop tard. Voici comment en une fraction de seconde tout s'écroule sous le poids d'une structure narrative fallacieuse bien trop riche pour se permettre d'écarter un pan entier du caractère de son personnage le plus fascinant. Si ce n'était le personnage erratique sublimée par une Cate Blanchett magistrale et l'introduction d'un Richard Jenkins bouleversant, Nightmare Alley n'aurait plus rien pour lui.


Nightmare Alley est donc également une fable sombre qui ne fait qu'effleurer le cheminement malsain de la psyché humaine. Il s'en passe des choses fiévreuses dans l'esprit torturé de ce personnage avide de puissance. Guillermo del Toro ne saisit jamais l'opportunité de transcender l'iconographie de cette représentation malsaine. Le réalisateur se contente souvent d'un champ contre champ impersonnel qui ne trouvera son salut que dans un climax palpitant, mais trop précipité pour en oublier toute la fadaise ayant désamorcé la grandeur de la première partie du récit.


C'est avec la subtilité d'un tir de boulet de canon que le metteur en scène exploite de sensibles thématiques universelle. De fait, l'ouverture mystérieuse du film, fil rouge du personnage principale, n'en est plus une. Ce pattern narratif et artistique trop académique fait ressortir toute la prévisibilité de la fin de cette histoire qui n'a maintenant de suspens et de mystère que les choix d'un réalisateur qui se fait doucement, mais sûrement, laver le cerveau par les injonctions de la production hollywoodienne.


Guillermo del Toro avait su passer entre les mailles du filet en imposant son style européen dans de nombreuses productions Hollywoodiennes. Mais à force d'en côtoyer les arcanes, son cinéma intime et original en devient schizophrène. Nightmare Alley en est le symptôme parfait, partagé en esprit créatif unique et diktats des actionnaires et producteurs. Mais un symptôme n'amène pas systématiquement à la maladie. En cela, je garde toute ma confiance en la puissance évocatrice de l'univers cinématographique de Guillermo del Toro et en son avenir.

MassilNanouche
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le 23 janv. 2022

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