Dommage pour le filtre anti-spam à la con, j'avais un chouette titre

May the horse be with you


La superbe ouverture de Nevada est trompeuse à plus d’un titre : chevauchée sauvage vue du ciel dans les déserts arides d’une Amérique qu’on croyait révolue, elle mêle la beauté à l’épique et se place sous le patronage des plus beaux westerns. Ampleur d’une courte durée, puisqu’un hélicoptère vient guider le troupeau dans une étrange chasse à courre et les mener vers un corral jouxtant une prison.


La cohabitation de ces deux espaces antagonistes (le huis clos carcéral et la nature environnante, presque provocante dans ces espaces infinis s’achevant sur l’horizon de montagnes enneigées) structure l’esthétique du premier film de Laure De Clermont-Tonnerre, impressionnant de maitrise en termes de photos et de gestion des espaces : un parti pris nécessaire et intelligent, dans un récit avare de mot et de musique, où la part belle est faite aux sons, aux regards et à la massivité des corps.


Nevada relate la trajectoire d’un homme, incarné par Matthias Schoenaerts (dans un rôle qui semble un peu trop écrit pour lui et ses précédentes incarnations, de Bullhead à De Rouille et d’os), qui intègre durant son incarcération un programme de réhabilitation par la domestication des Mustangs, chevaux sauvages dont il faut contrôler la population. Le parallèle est très vite fait entre l’homme et la bête, le protagoniste étant d’emblée filmé comme un animal, en gros plan sur son visage, où s’exprimant davantage par des souffles que des mots.


L’apprentissage sera donc, sous le patronage du légendaire Bruce Dern qu’on retrouve toujours avec plaisir, celui d’une ouverture à l’autre : par la souplesse, par l’autorité, mais, surtout, par la gestion de sa propre violence. Par l’entremise de la patience et de l’infinie frustration de voir l’animal s’acharner à ne pas coopérer entre aussi en écho avec le rapport si singulier des détenus au temps : un entretien de thérapie détermine ainsi le moment décisif, entre l’intention de tuer et sa réalisation (qu’on compte en secondes), et leur présence ici, certains pour le reste de leurs jours. Réapprendre la lenteur, gérer la rage de ne pas voir l’autre accéder à ses désirs, autant d’opportunités d’acceptation qui permettront, peut-être, de ne plus avoir à frapper les murs à mains nues.
C’est dans ce programme sobre et intense que se joue l’intérêt de Nevada. Il est donc assez regrettable de voir s’y adjoindre des récits adjacents, surement nécessaires pour tenir sur un long métrage, mais au déroulé assez convenu : le lien avec la fille permet ainsi la verbalisation progressive et souligne à gros traits la possibilité d’une rédemption, en étapes assez mécaniques et prévisibles. Il en va de même pour le pendant criminel, le personnage de Roman se retrouvant malgré lui impliqué dans un trafic de drogue, avec chantage concernant sa fille enceinte, et antagoniste en tout point dégueulasse, justifiant au passage la satisfaction du spectateur de voir in fine sa violence exprimée contre quelqu’un à l’occasion d’une vengeance elle-aussi cousue de fil blanc.
Filmer l’animal et son caractère indomptable, saisir la structure des espaces qui disent en silence la condition de certains hommes perdus suffisait à révéler le talent de la réalisatrice. Dommage qu’à considérer le spectateur comme trop humain dans ses attentes, on gâche la force initiale du projet.


(5.5/10)

Sergent_Pepper
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le 21 juin 2019

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Sergent_Pepper

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