La restitution naturaliste de l’adolescence est un sujet en soi : un monde cruel et retors, au gré de montagnes russes qui suivent avec passion des voies que la raison ignore.
Naissance des pieuvres tente de restituer cet univers impitoyable en l’inscrivant sur une toile de fond particulièrement éloquente, le milieu de la natation synchronisée : règne du beau et du factice, ce ballet des corps fascine autant qu’il déconcerte, à l’image de l’éveil des sens des protagonistes.
Au centre des échanges, la jeune Marie fait figure d’une Effrontée des années 2000 : même air renfrogné, même rage rentrée et désir d’en découdre avec la vie en dépit du silence qu’elle lui impose, on retrouve trait pour trait les expressions de Charlotte Gainsbourg à ses débuts. Face à elle, Adèle Haenel dans l’un de ses premiers rôles est tout aussi convaincante, tandis que la troisième comparse, archétype de l’adolescente complexée au physique ingrat sait admirablement distiller tout le malaise propre à cet âge.


Séduction, amour, découverte de la sexualité, rites d’initiation font les quêtes de ces maladroits apprentis adultes. Des parents, nulle trace : leur progéniture est livrée à elle-même face aux grands enjeux de la vie sentimentale. Céline Sciamma parvient à restituer avec tact et sans didactisme les contradictions des personnages, de leur désœuvrement à leurs coups d’éclat, de leurs erreurs de jugement à leur sensibilité douloureuse.


Dans un monde où le paraitre est l’obsession première, la compétition, qu’elle soit dans les bassins ou en soirée, occasionne de belles prises de vues et un recours à la musique souvent très pertinent.
On peut s’interroger sur certains détours du scénario (comme la scène de dépucelage entre filles, par exemple, ou la révolte des seconds couteaux à la fin), et la distance du regard empêche aussi une véritable empathie avec les personnages. Il n’en demeure pas moins que cette plongée dans le monde opaque de l’adolescence réussit là où trop souvent, le regard des adultes occulte les vraies problématiques de cette période trouble.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Adolescence, Film dont la musique est un des protagonistes, Portrait de femme et Vus en 2015

Créée

le 21 oct. 2015

Critique lue 1.9K fois

45 j'aime

5 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

45
5

D'autres avis sur Naissance des pieuvres

Naissance des pieuvres
eloch
10

" T'imagine le nombre de gens qui ont des plafonds dans les yeux ?"

Aucun film, jamais, ne me bouleversa autant. Les actrices sont toutes merveilleuses (mention spéciale à Adèle Haenel et Pauline Acquart). L'ambiance qui, apparemment, a déplu à plus d'une personne,...

le 1 avr. 2013

68 j'aime

22

Naissance des pieuvres
Sergent_Pepper
7

Les illusions perdurent

La restitution naturaliste de l’adolescence est un sujet en soi : un monde cruel et retors, au gré de montagnes russes qui suivent avec passion des voies que la raison ignore. Naissance des pieuvres...

le 21 oct. 2015

45 j'aime

5

Naissance des pieuvres
EvyNadler
9

Les Fleurs du mal

Céline Sciamma m'avait déjà conquis avec son Bande de filles, ode à l'adolescence féminine et à ses tourments solitaires. Naissance des pieuvres signe ses débuts en tant que réalisatrice et pur génie...

le 25 déc. 2015

32 j'aime

2

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53