Découvrir naissance d'une nation en 2012 provoque à peu près les mêmes réactions que presque exactement cent ans auparavant. 
Dès lors, amis blasés par ce que vous considèrerez comme de stériles controverses ou totalement au fait du contenu de ce film mythique et des remous qu'il provoqua, passez votre chemin, cette critique ne vous est pas destinée. 

Ce film de Griffith permet de toucher du doigt les limites de la note sur Sens Critique. 
Doit-on simplement considérer la qualité technique et artistique de l'œuvre et l'influence qu'il aura sur l'avenir de cet art naissant et alors la note maximale s'impose avec évidence. C'est le choix que beaucoup, ici, ont fait. 
Pour autant, peut-on faire totalement l'impasse sur le discours véhiculé par le film, tout au long de sa deuxième partie, voilà une option à laquelle je ne peux me résoudre, assumant parfaitement de passer pour un parfait pisse-froid, un odieux droit-de-l'hommiste, un défenseur ardent d'une des 1001 versions de la pensée unique.

Si demain devait sortir un film qui révolutionne absolument la façon d'envisager l'avenir du cinéma (et pour le meilleur, artistiquement parlant, tant qu'à faire) en défendant des thèses politiques extrémistes ou racistes, pourrais-je lui attribuer un 10 ? Certainement pas. 

D'autant que nombre d'arguments avancés pour défendre Griffith dans ce film ne tiennent, à mon humble avis, absolument pas la route. 
"à l'époque, les mentalités n'étaient pas les mêmes, le racisme prenant d'autres formes" revient le plus communément.
Je rappellerai humblement que le siècle des lumières est celui des thèses défendant l'égalité entre les hommes et que si ces idées émergent au cours de ce 18eme siècle, c'est bien qu'elles couraient dans certains esprits depuis un bon moment déjà. Et si on peut comprendre que cela ne signifient pas qu'elles aient été majoritaires à telle époque, on peut attendre d'artistes majeurs (car Griffith en est un) qu'ils les aient intégrés deux siècles après. Certes l'homme est du sud et fils d'un héros malheureux de la guerre civile, mais il reste confondant qu'il ait pu s'appuyer sur un ouvrage ouvertement partial et raciste en toute bonne foi sans se rendre compte de la portée qu'allait revêtir son message. 
Parce qu'il me semble que le problème du film dépasse le "simple" problème du racisme. Cela rassemble à une forme de négationnisme historique, d'autant plus étonnante que la première partie semble scrupuleuse. Pourquoi vouloir faire croire pendant une heure trente que les États du sud ont été accaparés politiquement par des hordes de noirs cupides, sales, ivrognes, débraillés, au point que les blancs n'aient plus eu accès aux bureaux de votes ? Comment annoncer que les anciens ennemis du nord et du sud se soient unis pour défendre "l'honneur du sang aryen bafoué" ? Que le Klu Klux Klan ait été la seule réponse salutaire pour une nation en danger de mort ?
Et je ne reviens pas sur la première incrustation du film qui "annonce que les problèmes du pays ont commencé avec l'arrivée des esclaves africains" dans la mesure ou l'on peut encore la comprendre, en début de métrage, de deux façons différentes.

On peut fermer les yeux sur tous ces aspects, considérer que rien de tout ça n'est important, 
Autant il me semble qu'on peut admirer l'oeuvre d'un salaud (Céline étant le premier qui me vient à l'esprit), autant il me semble beaucoup plus difficile de cautionner une œuvre, si belle soit-elle formellement, véhiculant des thèses nauséabondes, quand bien même la vie de son auteur ne semble n'avoir jamais voulu les promouvoir. Et qu'il s'en soit défendu. Et qu'il ait voulu en prendre le contre-pied des son film suivant. 

C'est d'autant plus dommage que les moments magnifiques se succèdent.
Plus que toutes les idées révolutionnaires énoncés un peu partout (montage alterné, alternance de cadrages, distorsion du temps), je retiendrai surtout cette façon unique qu'à Griffith de diriger ses acteurs et actrices, qui ne semblent pas vouloir jouer d'une façon appuyée parce que "muet". Au contraire, on a souvent l'impression de voir de vrais moments filmés par une caméra documentaire. 

Restent des choix de distribution parfois étonnants un siècle après, comme tous ces blancs peints en noirs (technique commune à l'époque), ou ce sosie de Gene Simmons sans maquillage (on a les références qu'on peut) pour camper un Stoneman aux motivations nébuleuses. 

Et puis c'est moi ou a un moment on voit passer un ou deux camions pendant une des grandes scènes de bataille de la première partie ? Non, ça doit être moi. 

Bref... Tutoyant le meilleur et frôlant le pire, la note ne pouvait être que... Pile-poil entre les deux extrêmes. 
guyness

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