Vingt ans après Easy Rider que ramenait Gus Van Sant sur la route ? Que restait-il à dire de cette histoire actée que les Etats-Unis entretiennent avec leur origine et sa mise en image qu'illustraient tant le western que des films comme Wild Boys of the Road de Wellman ou Les raisins de la colère de Ford ou encore Le Magicien d'Oz, où il s'agissait de repousser toujours les limites d'un espace à la recherche d'une terre providentielle, rejouant la Conquête de l'Ouest ?
A l'heure de la Guerre du Golfe, sans doute était-il pertinent de prendre le pouls du peuple américain et d'aller à sa rencontre, comme, à l'heure du Vietnam l'avaient fait Dennis Hopper et Peter Fonda, comme venait de le faire Lynch avec Sailor et Lula, lequel d'ailleurs partage beaucoup de similitudes avec My Own Private Idaho.

A travers le parcours de ce narcoleptique, GVS dessine moins la décision d'une trajectoire que le hasard d'une errance qui ne se découvre une vocation tardive que pour en mieux repousser l'accès et le reléguer en une quête originelle à l'issue impossible, faisant du road movie un pur mouvement à l'origine incertaine et au but inaccessible, ce qu'il n'a jamais cessé, en définitive, d'être, conférant ainsi à l'existence les modulations de l'hasardeux et du fortuit où la volonté a peu de part.
Le rêve qui assure la transition entre les lieux, voyage virtuel du dormeur narcoleptique et jeu, glissement autour du trip (dont la drogue est encore un troisième champ), figure ainsi le seul espace restant à investir de potentialités libératrices, celles de l'évasion. Or dans sa construction, GVS déjoue la continuité essentielle au genre et lui substitue une juxtaposition de lieux dont la transition est assurée par le sommeil, traduisant le fractionnement et du territoire et du peuple devenu également impossible à définir et dont le revirement du personnage interprété par Keanu Reeves à la fin du film assume l'irréconciliable, renvoyant ainsi ce peuple américain à sa nature mythique, constat déjà d'Easy Rider, qui, parangon du genre, en asseyait immédiatement la vanité.

De cette errance se dégage une mélancolie qui point tant de la précarité des lieux que de celle des relations, par cette poursuite toujours ajournée de cette Amérique nostalgique de son origine mythique ; par ce fait irréductible qu'est devenu la route en tant que telle, direction sans orientation ni coordonnées, lieu paradoxalement statique et immobile, en cela qu'ayant repoussé l'origine et la fin à l'infini, chaque déplacement est devenu nul. Alors on peut bien agrandir l'espace d'errance au monde, on ne fait que diminuer le monde et l'éden italien est aussi factice et mensonger que l'était la route américaine.
reno
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le 6 mars 2012

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reno

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