Images : superbes. Musiques : Superbes. Histoire : service minimum

Mune, le gardien de la lune, est un film destiné aux enfants. Avant toute chose, il faut bien garder ça en tête. Les enfants ne réclament pas que leurs films aient une double lecture, ou que les personnages soient profonds et complexes, que leurs relations soient rendues crédibles par des scènes d’interaction touchantes, que l’humour soit original et fin, et qu’il y ait une réflexion à développer autour des thèmes abordés. Non. Les enfants exigent qu’on leur raconte une histoire et qu’on la leur raconte bien.
Pour ce qui est de bien raconter, il n’y a vraiment rien à redire sur la forme. C’est superbe. Les visuels sont sublimes, et la musique ne l’est pas moins, Bruno Coulais oblige. Pour ressortir de la salle de cinéma avec des couleurs plein la tête et des étoiles plein les yeux, c’est le film idéal. Et c’est une nostalgique de l’animation 2D classique qui vous parle. C’est rare que les images de synthèse me parlent. Mais les images de synthèse de Mune sont exceptionnellement vivantes, exceptionnellement touchantes. Et surtout, elles ne sont pas toutes seules. Le génie de ce film, c’est d’incruster des scènes en images de synthèse dans un décor en aquarelle qui donne un aspect chaleureux et onirique au film. Et je ne parle pas des séquences en 2D, car il y en a, sublimes elles aussi, comme tout le reste.
Bref, une forme impeccable. Mais pour quel fond ? Oh, pas un mauvais fond, je vous rassure. L’histoire n’est pas mauvaise. Elle est juste… Simple… Extrêmement simple. En fait, elle est aussi simple qu’elle pouvait se permettre de l’être avant de devenir mauvaise. Juste un poil de simplicité en plus et elle devenait carrément médiocre. C’était pourtant une histoire qui avait du potentiel. En fait, les fans d’Oban Star-Racers ne manqueront pas de remarquer les étranges similitudes entre le passé des anciens gardiens de la lune et du soleil, et le passé des anciens Avatars dans Oban. Hommage ou hasard ? Peut importe. Oban Star-Racers est une bonne histoire, et rien que le fait de pouvoir faire une comparaison entre Mune et Oban Star-Racers montre à quels sommets aurait pu aller l’histoire de Mune.
Mais ces sommets, l’histoire ne les atteint pas. Pire, l’histoire n’essaye même pas de les atteindre. On se contente du service minimum. C’est pour les enfants, donc on peut s’en contenter. Nous avons un héros, Mune, qui, apparemment, n’est pas bien intégré à sa communauté. Plus exactement, il commence le film en se faisant punir parce qu’il a perturbé le déroulement d’une cérémonie très solennelle en jouant un peu trop bruyamment avec son animal de compagnie. Un membre de sa famille, dont on apprendra bien plus tard dans le film qu’il s’agit de son père, le ramène chez lui en le tirant par l’oreille et en lui expliquant qu’il faut qu’il apprenne à se rendre utile. A quoi Mune répond « Mais je suis utile !». Et il le prouve en utilisant son don pour faire faire de beaux rêves aux gens sur sa petite sœur qui dormait à côté. Parce que oui, apparemment, son peuple est responsable des rêves. En quoi son talent à lui est particulier par rapport à celui de ses congénères ? On ne sait pas. En quoi la manière dont il l’utilise déplait assez à ses congénères pour qu’ils l’accusent de ne pas être utile ? On ne sait pas. Est-ce que ça empêche pour autant d’entrer dans le film et de suivre ce qui se passe ? Non. On a compris la situation. On voit à peu près le problème, même si on n’a pas les détails. Et le gamin qui est à côté de nous, il ne les réclame pas, les détails, il peut très bien adhérer à l’intrigue sans qu’on lui donne plus d’explications. Est-ce pour autant qu’il fallait faire l’économie de ces détails, qui auraient donné plus d’intérêt et de réalité au drame personnel du héros rejeté par sa communauté ? Sachant qu’à côté le film n’est pas radin pour ce qui est d’émerveiller avec de beaux visuels, cette parcimonie est frustrante.
De l’autre côté de la forêt, dans une forge, nous avons Omar Sy, bonhomme feu et crétin. Non, rien de plus à dire sur ce personnage. Il est un bonhomme feu, il est doublé par Omar Sy, et c’est un crétin. Bon, nous connaissons nos classiques, nous savons que ce crétin va soit finir humilié et roulé dans la boue, soit devenir sage grâce au contact bénéfique du héros.
Dernier protagoniste à présenter, Cire, qui comme son nom l’indique, est faite en cire, ce qui fait que la chaleur la fait fondre et que le froid la fige. Comme elle est obligée de rester chez elle à longueur de temps, elle est devenue une vraie geekette en matière d’astronomie, et a accumulé un savoir encyclopédique sur la façon dont fonctionnent la lune et le soleil dans ce monde. On s’attend donc à ce que ce savoir encyclopédique soit très utile aux héros par la suite. Spoiler, ça ne servira pas une seule fois : elle en parle beaucoup, mais les informations qu’elle donne ne sont utilisées par les héros en aucune manière. Mais ça me permet au moins d’en dire davantage sur le personnage de Cire que je ne peux en dire sur les deux autres réunis : elle est passionnée par l’astronomie, elle est volontaire, elle est avide de connaissances, et elle sait utiliser ses connaissances pour pouvoir partir à l’aventure malgré sa condition fragile (voir le savant jeu de miroirs qu’elle installe chez elle pour être dégelée par le soleil avant son père et s’éclipser sans avoir de problèmes).
Maintenant que nous les avons présentés tous les trois, venons-en à l’enjeu. Nous sommes sur une planète sans source de lumière naturelle. Le soleil est une grosse boule de Magma qui a été pêchée au harpon dans l’espace par le premier gardien du soleil, enchainé, et trainé comme un ballon d’hélium le long de la surface du globe par un golem de pierre géant, qui ne peut pas se piloter tout seul. Le rôle du Gardien du Soleil, choisi tous les 250 ans (suis plus sûre de la date) est de piloter ce golem. La lune est un bloc de cristal qui a été ramené du monde des rêves, attaché à un fil d’araignée, et qui est trainé comme un ballon d’hélium le long de la surface du globe par un… Heu… Ecoutez, ça ressemble vaguement à une autruche-paon-kangourou ou un dromadaire avec une tête d’oiseau à l’envers, mais ce n’est jamais appelé que « le temple de la lune ». Me demandez pas plus. Bref, le temple de la lune ne peut pas, lui non plus, se piloter tout seul, donc un Gardien de la Lune est, lui aussi, choisi tous les 250 ans. Et il se trouve que le jour où on doit nommer les nouveaux gardiens de la lune et du soleil, c’est précisément aujourd’hui.
Etre gardien du soleil ne doit pas exiger de compétences extraordinaires, parce que la seule épreuve que le candidat au poste a à subir, c’est recevoir en pleine poire un rayon de la mort sans brûler. Omar Sy étant un bonhomme feu, il décroche le job sans le moindre problème. Eclairer la nuit, visiblement, c’est une plus grande responsabilité, parce que l’épreuve consiste à plaire à un mouton-cerf qui est suffisamment sage pour lire dans les cœurs des candidats et déterminer s’ils sont aptes à tenir le poste ou pas. Et, à la surprise générale, au lieu de choisir le candidat attendu (qui a la tête du grand vizir Jafar, la voix du grand vizir Jafar, et la taille du grand vizir Jafar, comment diable pourrait-il être indigne de confiance ?), le mouton choisit Mune.
Et voilà notre pauvre héros obligé de PILOTER UNE AUTRUCHE PAON KANGOUROU DONT ON LUI A MEME PAS LAISSE LE MODE D’EMPLOI ! Evidemment, il commence par avoir du mal à maîtriser l’engin. Evidemment, ça fout du bordel. Evidemment, Omar Sy descend de son golem pour aller mettre bon ordre à tout ça. Evidemment, des diablotins en profitent pour voler le soleil…
Voilà pour le pitch. On est d’accord, c’est assez sympa, et ça promet. On veut voir maintenant Mune découvrir qu’il a en fait toutes les compétences pour être gardien de la lune, Omar Sy réaliser qu’il ne suffit pas d’être balèze pour être un bon gardien du soleil, et Cire comprendre que mieux vaut un petit ami pas musclé et gentil qu’un petit ami musclé et crétin.
Petit problème, déjà : Cire étant ce qu’elle est, c'est-à-dire exceptionnellement intelligente, il ne lui faut pas deux minutes de conversation avec les deux gardiens pour tirer cette conclusion. Bon, j’aurais sûrement beaucoup apprécié si, par contre, l’évolution de ses sentiments vis-à-vis de Mune, ou de Mune vis-à-vis d’elle s’était faite de manière romantique et émouvante, mais non, nous avons dit service minimum, du coup, même si leur relation est crédible du fait qu’ils ont été campés comme étant faits l’un pour l’autre, la façon dont ils tombent amoureux est rapide et laisse sur leur faim les fleurs bleues comme moi.
Deuxième problème : non, il n’y aura ni punition, ni rédemption, pour Omar Sy. Crétin il est, crétin il restera. Son personnage servira d’abord à être une blague. Du coup, il ne remarquera pas les mille et un petits détails qui prouvent que l’aide de Mune pourrait lui être utile. Il faudra un deus ex machina pour lui expliquer que l’alliance des gardiens est une nécessité, et qu’il doit accepter de s’associer avec Mune. Comme, en bon crétin, il n’est pas contrariant, il le fait aussitôt. Là aussi, c’est parfaitement crédible, et ça a le mérite de laisser Omar Sy être cohérent du début jusqu’à la fin. Mais ça n’apporte pas la satisfaction qu’apporte la naissance d’une belle amitié.
Troisième problème : on ne saura jamais vraiment ce qui fait de Mune un bon gardien de la lune. Bon, on sait qu’il est gentil, qu’il est astucieux, qu’il est loyal, et qu’il est courageux. Mais, ce qui lui permet de sauver la situation, ce n’est aucune de ces caractéristiques. Ce qui lui permet de sauver la situation, c’est sa capacité à donner de beaux rêves aux gens, capacité qui, si j’ai bien compris, est commune à tout son peuple (et si elle ne l’est pas, ça aurait été bien d’insister davantage dessus). C’est sur cette capacité-là qu’on s’attarde et qu’on met de l’emphase, non sur la gentillesse qui le pousse à utiliser cette capacité à bon escient. Toujours pareil : crédible, cohérent, mais encore une fois, service minimum.
Cette histoire n’est pas mauvaise, elle n’est pas illogique, elle n’est pas incohérente, et bon, on prend plaisir à la suivre. Seulement, cette histoire est racontée au moyen d’images de synthèse incrustées dans des décors aquarelle sur fond de musique de Bruno Coulais. On y croise des Paon-Autruche-Kangourous, des golems de lave, des golems de pierre, des pieuvres et des poissons volants et phosphorescents, et c’est une histoire survolée, qu’on n’a pas réfléchie plus qu’il n’était nécessaire, qu’on n’a pas pris la peine de réfléchir plus qu’il n’était nécessaire, trop occupés qu’on était à investir son énergie dans les autres aspects du film. C’est frustrant.
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tchoucky
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le 26 oct. 2015

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