Le film sur lequel les cinéphiles s’écharpent depuis plus de 15 ans, tentant de lui trouver une explication, de renouer tous les fils décousus entre eux. Je me permets de jeter, à mon tour, de l’huile sur le feu.


Je ne reviendrais pas sur les qualités du film ou ses acteurs. D’autres le font très bien. Mais je me permets de signaler son contexte : construit au départ comme un pilote de série télévisée, c’est suite aux refus des studios que David Lynch concluera le film avec une deuxième partie en rupture avec ce qui avait été fait.


L’étrangeté du réalisateur s’y déploie, rattachant les personnages de la première à de nouveaux éléments, utilisant de procédés plus abstraits. C’est une deuxième partie qui baigne dans une certaine irréalité, bouleversant le film.


J’ai vu Mulholland Drive sur grand écran, accompagné d’une analyse par un professeur de cinéma. J’ai été très gêné par son discours, qui tentait de tout relier. C’était parfois bien vu, et d’autres fois beaucoup moins crédible. C’était à une minutie près que c’était jusqu’à commenter la vaisselle utilisée.


Malgré toute la sympathie de la personne, c’était sa vision. Une vision qu’il disait enseigner à ses étudiants, plans par plans. Les pauvres. Car il n’offrait pas de place pour des avis complémentaires, tout se recoupait selon lui avec un grand génie.


Son propos était de voir en la première partie une production volontairement ringarde, dont les quelques excès étaient là pour prouver que ce n’était pas pour de vrai. Les tentatives d’humour allaient dans ce sens. Il ne s’agissait pas de détendre l’atmosphère, de jouer sur les différents registres. Non, c’était voulu, pas pour faire rire, mais pour montrer l’impossibilité.


Pourtant, si le Monsieur avait vu Twin Peaks, à peine mentionné, contrairement aux autres films de Lynch, il aurait vu que cette première partie correspond à ce que faisait déjà le réalisateur dans la série. Piocher dans différents genres pour provoquer l’étrangeté. Le réel n’intéresse pas David Lynch, il le déforme, le travestit. Dès lors, vouloir que tout fasse sens est en mon sens une erreur, et même un contre-sens.


Vouloir tout rationaliser est un des aspects de la cinéphilie qui me dérange. Analyser un film est toujours une bonne chose, mais l’erreur est de le faire à l’outrance, pire, en en faisant une vérité. Dans le cadre de l’oeuvre de David Lynch, c’est vouloir relier des ficelles de pelotes volontairement différentes.


L’autre point qui me bloque dans certaines analyses, c’est que le film est vu en tant que tel, comme une œuvre unique qui existe en tous temps. Ce n’est pas entièrement faux. Mais oublier le contexte dans lequel il a été produit peut amener à ne pas voir certains éléments. C’est flagrant pour Mulholland Drive. Le film a été tourné en deux fois, la deuxième partie conclut le film sur une nouvelle approche. Mais prendre le film en se basant sur cette partie pour renier la première est une bien hasardeuse façon de voir. Interpréter Mulholland Drive comme un tout est une démarche, une piste. Mais l’asséner comme une vérité c’est faire l’impasse sur son contexte : c’est un pilote de série télévisée et son ton est identique à celui de Twin Peaks. Avoir intégré ces deux éléments aurait enrichi l’analyse.


Les personnes dans la salle ont été satisfaites de voir que le film était « construit ». Ma seule question n’aura pas ébranlé le professeur. Ce doit être rassurant de vouloir expliquer les aspects les plus inhabituels du film. Que plus rien ne dépasse. Quel dommage. L’un des charmes de Mulholland Drive sont les multiples directions qu’il prend, son étrangeté pleinement assumée. Tout ne peut pas être expliqué, tout ne doit pas l’être. Le faire enferme les films. L’analyse est nécessaire, mais elle est parfois étouffante quand elle se persuade d’avoir raison.

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le 31 janv. 2020

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