C'est au travers du regard nubile de l'adolescence — celui d’Ellis — et ce qu’il transporte de pur, que Nichols déconstruit l’amour et son imperfection. 
En trois petits cas d’écoles : divorce, premier amour et amour raté, ou fuyant, il propulse tous les clichés dans une dimension autrement plus grave, par un simple jeu de point de vue. De ces déjà-vus, il ne nous reste en fait que la crainte de leurs effets sur Ellis. Car au-delà du gamin qu’il est, Ellis se fait avant tout le porte-étendard de ce que l’amour a de plus pur et de plus simple ; une vision des choses que l’on a peur d’entacher, une pureté et une perfection des sentiments — d’aucuns diront naïveté — que l’on sait fragile et éphémère, en sommes un éclat dont on assiste peut-être aux dernières lueurs.



C’est de là que le film tire toute sa grâce.



« Pourquoi fais-tu cela pour nous ? » demande Juniper (Reese witherspoon) à Ellis, qui s’évertue à réunir le couple qu’elle forme avec Mud (Matthew McConaughey) au-delà des risques. « Parce que vous vous aimez »

Cette simplicité et cette évidence même, cette croyance en la nature authentique des sentiments, on les retrouve partout dans le film de Nichols, dans l’amitié et dans la famille. Une vraie loyauté se crée entre Mud et Ellis, qui n’est pas à sens unique comme on aurait pu le craindre. Cette authenticité se matérialise aussi dans le rapport à la famille, différent pour chaque personnage, et souvent au-delà des liens du sang. Le copain d’Ellis vit avec son oncle, Tom (Sam Shepard), qui n’a plus de famille, se fait le paternel de Mud. Au final, la seule famille soudée en devient l’antagoniste du film. Est-ce que Nichols reproche aux liens familiaux ce qu’ils ont d’arbitraire et d’hypocrites ? Difficile à dire, d’autant qu’en fin de compte, la détresse du père qui apprend la mort de ses fils, malgré sa retenue, témoigne de sentiments vrais. On l'aura d'ailleurs jugé trop vite, peut-être.
Une chose est sûre : Nichols préfère les personnes qui se trouvent bien, qui sont faites pour se trouver. 


Une des grandes réussites du scenario réside dans la transparence des avis que chacun a sur les autres. Il en sort une inconstance perpétuelle sur les jugements que peut se faire Ellis (et nous même) sur Mud, sur Tom, sur Juniper et sur l’authenticité de leur amours (et même sur le père "méchant", comme on l'a vu avant). Nichols nous laisse jouer les manichéens par endroit. On donne le tort a quelqu’un, et puis on le retire. Seul reste la vraie valeur des sentiments, qui va au-delà des jugements (Tom aide Mud malgré tout, le père pleure la mort de ses fils).

Le film se finit peut-être un peu trop bien. La vie n’aura pas encore eu raison de la pureté d’Ellis, en témoignera l’échange de regards avec sa voisine dans les dernières minutes. Mais peut-être que le mot de la fin, c’est que l'amour et ses exigences sont différents chez chacun. Et on souhaite que l'amour d’Ellis soit préservé.

« Pourquoi je serai ta copine ? » lui demande May Pearl. « Parce que je t’aime »
Vincent_Liveira
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le 5 mars 2014

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