En sortant, se pose la question, est-ce un vain exercice de style, sans profondeur dans un bel écrin formel ? C'est l'avis de nombreuses personnes. J'aime à voir le film autrement. Pour moi, il se pose comme une réflexion assez pertinente sur les paradigmes de la société actuelle. Notre société de consommation nous pousse autant que possible à nous détourner du choix. A l'heure actuelle on aime à promouvoir le « et » plutôt que le « ou ». Avoir tout plutôt que faire un choix. Le petit garçon qui court à perdre haleine derrière le train souhaiterait plus que tout au monde avoir tout plutôt que faire un choix entre ces deux piliers de sa vie. Alors il imagine (voire il vit dans une projection instantanée, Nemo prétend avoir des visions de l'avenir), toutes les vies qu'il pourrait avoir s'il pouvait les avoir toutes, désespéré de ne pas savoir quoi faire, de ne pas savoir s'il existe un bon choix. La thématique du film est bien la douleur de devoir se résoudre au « ou » alors que la société nous pousse à rêver du « et ». Le seul réconfort que Nemo finit par trouver, c'est celui de se rendre compte que n'importe quel choix vaut mieux qu'une absence de choix. Qu'il n'existe peut-être pas de bon choix mais seulement, pour chacune des vies possibles, des choses à vivre, qu'il est possible de trouver du sens dans chacune. Ainsi, dans la vision futuriste, Nemo voit un monde où le choix a perdu son sens, suprématie du « et » puisque que le temps a été vaincu et que l'homme ne meurt plus, qu'il n'existe plus qu'une éternité qui autorise tout le champs des possibles, il lui est alors demandé, lui dernier mortel, ce que c'était quand chaque seconde comptait et que le « ou » faisait se sentir vivant, car chaque seconde était un choix en elle-même.
Formellement, et c'est peut-être là, que le spectateur s'est senti heurté, le film est avant tout une somme. Ce serait manquer quelque chose que d'analyser chacun des personnages et le trouver « monolithique ». Chacun est là comme l'expression-modèle d'un sentiment, d'une sensation et c'est dans le tout que le film acquiert sa profondeur. Le bouleversement émotionnel de Némo est composé de chacun des personnages, de l'ensemble de ces possibilités, de chacune des sensations éprouvées dans toutes ces vies (en ce sens, dans cette seconde à courir derrière le train, dans cette explosion des sentiments, tous les espoirs et les craintes de Némo sont matérialisés par la somme de tous, Némo est toutes les versions de lui-même, d'Anna, d'Elise, de Jean, de son père et sa mère...Le portrait des émotions est dans la réunion du tout).
Alors voilà, je ne veux pas bouder mon plaisir, Mr Nobody est un bijou à mes yeux. De nombreuses critiques n'ont cessé de louer le ciné belge des dernières années et ont ensuite incendié Mr Nobody. Mais moi, si je devais faire un choix et n'en garder qu'un, ce serait celui-ci. Formellement superbe, fourmillant d'idées, ambitieux et profond pour moi.