En sortant de la séance d'hier soir j'étais soufflé au point que le film que j'avais vu avant n'étais qu'un vague souvenir. J'avais vu la fin venir dans tout ce qu'elle a de tragique vers la moitié du film, quand la métaphore interne, sa logique intra-diégétique m'a sauté à la gueule avec force et violence.
Vous n'aimerez peut-être pas Mother!
Il y a de grandes chances que vous passiez à côté, et ce n'est pas grave au fond, ce n'est pas un film simple. Mais avant que vous ne le mettiez à… 6,5 de moyenne (au moment où j'écris cette critique), j'aimerais plaider pour lui.
Si vous ne l'avez pas vu, il s'agit d'un film à clé, une métaphore filée très osée qui ne va pas user d'une narration totalement traditionnelle. Ouvrez votre esprit, ouvrez votre cœur et vous avez le droit de le détester. Maintenant fuyez, pauvres fous.
C'est bon ?
Maintenant que vous avez tous vu le film, on va essayer de parler un peu plus concrètement des différents degrés de lectures. Je pense que si le film a laissé beaucoup de critique sur le carreau, c'est parce qu'ils attendaient un bon petit film d'horreur un peu crade.
L'innocence de Jennifer Lawrence et l'inquiétant Javier Bardem : qui peut les blâmer ?
Mother! est l'histoire de ce couple étrange qui vit dans une maison isolée. Lui est un écrivain en panne, elle est une compagne aimante un peu perdue. Son compagnon peut être inquiétant, imprévisible ou peu attentionné. Cette relation de couple est tumultueuse, parfois allant jusqu'à la maltraitance mais la mère cédera à tous les sacrifices pour son compagnon, livrant son enfant à une foule d'étranger et mettant fin à ses jours pour les punir de leur infanticide. Il y a les angoisses sur la difficulté de concevoir, l'attente d'un enfant et cette peur d'un compagnon difficile à contrôler.
Mother! est l'histoire d'un dieu qui créé et contrôle son univers. A travers l'histoire de l'humanité, il maltraite notre terre. Il y a des humains mais ils touchent le fruit défendus et sont chassés du sanctuaire où travaillait ce dieu. Leur fils cadet tue l'aîné mais malgré cet instant tragique les humains encore vivant se conduisent de façon immorale, forniquent et ne respecte plus la maison de dieu, alors le déluge les chasse. Mais dieu les aime et décide de leur offrir son fils unique. Il s'en suit des débordements, une fin du monde, guerre, famine, peste, la mort entre tout cela, et la vénération aveugle d'un écrit de dieu. La terre meurt à cause des hommes qui l'ont maltraité sans faire attention à elle.
Est-ce qu'on s'arrête là ?
Mother! est l'histoire d'un écrivain qui tente de créer une nouvelle œuvre. À partir de ses œuvres précédentes il décide de rebâtir un cadre de réflexion, un endroit propice à la création où son inspiration pourra errer librement, ajoutant ici une touche de peinture, recréant un bureau là. Et alors que ce cadre devient vraiment consistant, l'artiste ne touche toujours pas à ses outils, absorbé qu'il est à son processus mental, à sa tentative de création. Il accueille alors un premier personnage, mais il est imparfait. Il passe la nuit avec, le travaille physiquement et au matin il est parfait. Arrive alors son antagoniste et il passe de plus de temps avec eux. Peu à peu les personnages prennent corps, envahissent la maison et les anciennes influences sont réduites en pièces. L'inspiration est en marche, elle est autonome, elle a besoin de se libérer quand le tourbillon d'idée originale commencent à la dépasser elle rappelle le créateur à l'ordre : écrit, travaille, prend ton outil tout de suite !
Et il commence à créer sans relâche, il crée quelque chose qui sera en accord avec ce que son idée de départ est devenue, et l'œuvre grandit. C'est alors que commence le moment le plus difficile : l'édition. D'autres esprits, d'autres idées entre dans l'esprit de l'artiste, gérer l'attente du public et des fans, sauvegarder l'œuvre dans l'édition ou le montage jusqu'à ce que le moment vienne de le livrer à son public qui se l'approprie, le dévore. L'œuvre n'est plus cette idée pure qu'il y avait au départ. L'artiste se rend compte que cette idée sort de sa tête, qu'elle disparaît, que la maison s'effondre et recommence à réfléchir à l'œuvre suivante.
Mais est-ce que ce processus créatif est universel ?
Non, absolument pas. Si je devais filer la métaphore de mon côté, des écrivains de saga comme Hobb ou Martin seraient des parents de familles nombreuses et Scorcese vivrait un ménage à trois avec ses obsessions.
Mother! est l'histoire de Darren Aronofsky, de son processus d'écriture, de sa gestation lente puis de son écriture frénétique. C'est l'histoire des interventions d'autres participants, de producteurs, d'un directeur photographique, d'un ingénieur du son, d'un monteur et de cette guerre, de cette violence qui accompagne un tournage et sa confrontation avec l'extérieur avant de s'enfermer dans un bureau pour reconstituer, finir son film et le présenter à la critique et au public.
Le film est franc et puissant parce qu'il parle des sensations puissantes qui l'animent dans la création, les doutes, le besoin de se remettre sur les rails. Le film parait abuser de détails physiques, d'éblouissements et d'acouphènes, de perception en aura ; il retranscrit la douleur de ce processus physique et psychique.
C'est très violent, peut-être plus pour lui que pour nous ; c'est peut-être un film très personnel.
Ces histoires ne sont pas incompatibles les unes avec les autres, le film joue sur de nombreux tableaux à la fois, mélange les registres. Les événements doivent être pris au premier degré, interprétés dans leur dimension métaphoriques. Cela parle de création (l'artiste est le dieu de son propre univers), mais aussi d'écologie, d'étique et de relation sentimentale. Les situations se font échos, s'entrechoquent et font jaillir des idées
En cela Mother! ressemble à un journal de création écrit en code et dont la clé a été égarée volontairement : il attend des spectateur d'être actif, de reconstruire. On peut passer à côté de lui sans le voir vraiment.