Visconti l'esthète, Visconti le virtuose, toujours aussi parfait dans son perfectionnisme et son génie de la reconstitution historique précise nous propose aussi une ode à la sublime Venise et sa lagune ainsi qu'à la musique du grand compositeur romantique Gustav Mahler. Réconciliation du monde germanique au travers du personnage ainsi que du choix de musique et du monde latin au travers du choix de localisation dans une atmosphère sombre et mélancolique convoyée par les notes de la partition de Mahler autant que par  la lagune de la Sérénissime, qu'il capture en train de se faner (atmosphère peut être le mieux symbolisée par le Lido et sa célèbre plage de sable noir), magnifiée par la brume et la superbe photographie de Pasquale de Santi. Une image à contre courant de ce qu'on a l'habitude de voir de Venise au cinéma mais la cité sur la lagune est toujours aussi impériale. Beaucoup moins sérénissime que son épithète avec cette épidémie qui s'abat sur elle comme l'ombre menaçante et prophétique de la Première Guerre imminente ou des deux Totalitarismes à venir, le Fascisme mussolinien et le Nazisme.   

L'aspect contemplatif de son œuvre la plus italienne au sein de sa "trilogie germanique" (qu'il avait commencé à réaliser en filmant Les Damnés et la montée du nazisme en Allemagne et qu'il conclura un an plus part, magistralement, avec le règne et la descente aux enfers de Ludwig II au temps des débuts de l'Unification Allemande dans son sublime Crépuscule des Dieux) nous plonge encore plus dans ce monde une fois de plus menacée par le déclin, thème qui lui est si cher : 1911, les derniers feux de la Belle Epoque, avant que 3 ans plus tard n'éclate la Première Guerre qui y mettra fin dans le chaos et une grande violence. Hymne à l'élégance de costumes fin-de-siècle, toujours aussi finement élaborés par Piero Tosi.


Encore une fois, un plaisir incomparable pour les sens, surtout si on a de quoi être sensible aux thèmes de Visconti et à ses atmosphères. On pourrait encore y ajouter une réflexion mise en abîme sur l'art musical, justement celui qui après le cinéma et la littérature me passionne et me touche le plus. S'y entremêle aussi, en écho, avec ce monde en déclin, une réflexion sur la vieillesse, au travers de cette fascination du compositeur vieillissant Von Aschenbach (personnage librement inspiré du même Mahler dont on s'imprègne de la 5e symphonie en fond musical du film, tout en étant ébloui par le talent de mise en scène du maestro Visconti) pour le jeune éphèbe androgyne Tadzio, mais fascination toujours de loin et désir homosexuel esquissé. Le tout interprété par des acteurs encore une fois, immenses, et en particulier Dirk Bogarde dans le rôle principal.


Démesuré, magnifique avec une once de crépuscule, c'est signé mon cher Luca ou le Grandiose Visconti, soit l'un des réalisateurs que j'admire le plus.

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le 7 janv. 2019

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Louve d'Avalon

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