Parfois on peut se méfier des films qui arrivent avec une grosse réputation comme ici celle de « sensation du cinéma indépendant américain » tant ce genre d’appellation est devenue galvaudée avec les années. D’abord parce qu’il y a plusieurs styles de cinéma indépendant au pays de l’Oncle Sam depuis deux décennies, celui des récompenses et gros festivals et celui des circuits intimistes totalement fauchés et des petites manifestations. Mais également parce que de plus en plus de films tentent de s’approprier ce type de qualificatifs à coups de marketing plus ou moins roublard et enfin parce que tout dépend d’où vient la rumeur, des professionnels, du public ou des deux. « Moonlight » a la particularité de cocher toutes ces cases. Alors est-il à la hauteur de sa réputation ? Clairement, oui c’est un très beau film indépendant américain qui mérite de nombreuses louanges.
Maintenant, attention tout de même. Le premier film de Barry Jenkins à sortir chez nous n’est pas non plus un chef d’œuvre inoubliable et il faut souligner qu’à l’heure des débats sur le manque de représentation des minorités et notamment des populations noires aux Oscars ou autres, il tombe plutôt à pic. Jugez plutôt : on y suit la vie d’un jeune black homosexuel dans un quartier rongé par la drogue de son enfance à l’âge adulte en passant par l’adolescence. Dans le cas précis de « Moonlight » c’est de l’eau bénite pour l’Académie. Ceci mis à part et avec un tel sujet qui aurait pu sombrer dans le glauque et le misérabilisme à la « Precious », ce beau film a l’intelligence de la pudeur et de la sensibilité. Toujours très réaliste, bien que certaines images flirtent avec un certain onirisme loin d’être déplaisant, « Moonlight » se compose de trois actes bien distincts et marquant l’évolution du personnage central. Une construction déjà vue mais habile ici et en phase avec la représentation d’un déterminisme social fort.
Séparément, les trois segments seraient plus anodins et pourraient être des court-métrages au souvenir périssable. Bout à bout, leur puissance dramatique est puissante et toute l’émotion que l’on ressent lors du dernier tiers est en rapport avec ce que l’on a vu dans les deux premiers, la tension émotionnelle atteignant son paroxysme dans les dernières scènes, simples, touchantes et tout simplement belles. Le film jouit également d’un casting épatant d’inconnus ou presque. Hormis la plus connue Naomie Harris, impressionnante, les trois acteurs jouant Chiron sont parfaits et complémentaires et tous les seconds rôles sont du même acabit. Certains clichés dans l’évolution des personnages subsistent tous comme quelques passages obligés mais force est d’avouer que « Moonlight » mérite son statut de petite perle indé.