Mon voisin Totoro
7.8
Mon voisin Totoro

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1988)

À quoi sert l’imaginaire, si ce n’est à nous donner les armes pour affronter l’insoutenable, combattre nos peurs, ou survivre à l’inexorable toxicité du réel. Trouver au fond de soi les moyens de surmonter les angoisses de mort, cela revient à être capable d’ouvrir les yeux sur la vie et la beauté du monde qui nous entoure. Un message qui sera entonné par Hayao Miyazaki de film en film, à travers des figures héroïques comme Chihiro ou Ashitaka. Seulement, pour être audible auprès du jeune public, il faut savoir se mettre à sa hauteur : Mon voisin Totoro prend le parti de la "micro-échelle", s’attardant sur des "micro-événements", donnant toute son importance à la "micro-sensibilité", afin d’offrir aux enfants le film qu’ils méritent, celui qui reflète leur monde extraordinaire, celui où l’émerveillement vient toujours à bout des tourments.

Pour être intelligible auprès des plus jeunes, le récit prend ses distances avec celui classiquement rencontré dans les films prétendument plus “adultes” : pas d’antagonisme, pas de conflit, pas de véritable intrigue. C’est le schéma du récit initiatique, perçu notamment dans Nausicaä et Le Château Dans Le Ciel, qui est totalement revisité afin d’épouser le plus justement possible les préoccupations enfantines. Plutôt que d’être outrageusement écrasant, la fiction et le fantastique vont être au service du réel, facilitant l’articulation des enjeux psychologiques, rendant crédible cette bipolarité narrative qui oscille constamment entre “déplaisir” et “plaisir”, “peur” et “émerveillement”. Le choix de s’inspirer de Alice's Adventures in Wonderland paraît alors fort judicieux, Miyazaki empruntant à Lewis Carroll aussi bien son refus d’une narration conventionnelle que son obstination à traduire le regard de l’enfance (et de l’imaginaire qui le sous-tend).

Seulement, on le sait, Carroll prenait ouvertement le parti d’un monde où le rêve s’oppose au réel, où le fantastique avait le subconscient de l’héroïne comme origine. Le grand mérite de Miyazaki sera justement de rendre poreuses toutes les frontières, filmant un réel potentiellement fantastique car enfantin. Même s’il ne se montre pas avare en explications rationnelles – les noiraudes sont semblables aux têtards, Totoro rappelle le héros d’un livre pour enfants, etc. - il ne s’y attarde jamais, rendant floue la séparation entre réel et imaginaire : le bestiaire ne semble jamais factice, tout comme les liens qui unissent les différents personnages. Dès lors, contrairement à l’univers d’Alice, les créatures de Miyazaki deviennent les alter ego des enfants, et peuvent donc leur venir en aide !

Les enfants en question sont au nombre de deux dans le récit, et c’est leurs relations qu’il convient de préserver : une vie infantile qui persiste malgré la peur et les angoisses, malgré un réel peu propice à l’enchantement. Astucieusement, Miyazaki célèbre l’harmonie de l’enfance en soulignant la relation d’interdépendance existant entre les sœurs, tant sur le plan physique (les rondeurs de l’une venant parfaire la verticalité de l’autre) que psychologique (la candeur de la cadette complétant très bien la détermination de l’aînée). Une harmonie suffisamment solide pour faire face aux tourments (le sort de la mère malade fait office de toile de fond anxiogène), tant que rien ne vient rompre cette union. C'est d’ailleurs l’épreuve de la séparation qui permettra la résurgence des angoisses de mort, une crise apaisée seulement par la présence sécurisante de l’imaginaire...

Un imaginaire dont la pureté et la dimension apaisante donneront toute sa singularité à Mon voisin Totoro, reflétant ainsi avec poésie l’inaltérable innocence de l’enfance. Contrairement aux productions classiques, aucune créature maléfique ne viendra corrompre l’univers enfantin, pas même la menace incarnée par cette chèvre affamée... Miyazaki s’avère une nouvelle fois très habile pour aborder le merveilleux avec un naturalisme pour le moins étonnant. Deux séquences, en ce sens, demeurent à jamais mémorables, celle où les fillettes s’envolent sur une toupie en même temps que pousse un arbre gigantesque, et bien sûr celle qui voit apparaître un chat-bus au son mélodique de la pluie : la magie n’est pas irréelle, nous dit le vieux maître, elle est logée dans le monde qui nous entoure. Il suffit simplement d’ouvrir les yeux pour l’apercevoir...

Moins grave qu'un film comme le Tombeau des lucioles (produit la même année), Mon voisin Totoro enchante en célébrant le triomphe tranquille de l’innocence, en révélant la présence d’un “merveilleux” qui n’a rien de fantaisiste et qui se nomme “plaisir” : les rires qui accompagnent un bain avec papa, la douce réjouissance d’un repas partagé avec la gentille voisine, le palpitant qui s’emballe à la suite d’un regard croisé : inutile de traverser le miroir ou de rêver à l’extraordinaire, la magie n’a rien d’utopique pour celui qui a su garder son âme d’enfant.

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le 28 nov. 2023

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Procol Harum

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