Maïwenn sacralise la détresse d'une "femme normale". Viscéral et exquisément dévorateur

Maïwenn est un peu ma reine depuis qu’elle m’a séduite avec « Le bal des actrices ». Je suis sensible à son univers singulier, ses délires d’artiste incomprise, son air lunaire et parfois à côté de la plaque, sa trompeuse fragilité … En somme, à tout ce qui la rend si unique en son genre. Agaçante, parfois. Ce 17 mai à Cannes, elle était toute mon obsession. Mon objet du désir.


C’est justement ce qui nous rapproche avec Maïwenn. Cette frénésie qui fait le sujet de « Mon Roi ». Un film animé par la personnalité volcanique d’un Vincent Cassel déchaîné, et ponctué par les craquages névrotiques d’Emmanuelle Bercot, désenchantée. Bref, une œuvre maladivement bipolaire. L’art de Maïwenn vient souvent nourrir les fantasmes du spectateur. Ici, il s’agit plutôt de les démystifier. Comme si, pour une fois, la réalisatrice prenait le contre-pied de la réalité, pour la déjouer, et rendre romanesque des éléments de vérité qu’on préférerait surjoués. Un manifeste dédié à ceux qui ont connu l’amour suprême, celui qui dévore et qui fait mal.


C’est ainsi que naît l’incroyable couple Bercot / Cassel. Une avocate incapable de se défendre elle-même et un restaurateur qui manipule les esprits comme les couteaux. Un « vrai » couple de cinéma au sens propre, celui qui se veut crédible et invraisemblable à la fois, celui qui procure autant de rêve que de rejet, aussi épidermique que fragile. La tension est chaque instant électrique, oscillant entre bonheur absolu et chagrin destructeur. Un entre-deux qui ne trouve jamais d’équilibre et, ainsi, rythme le film. « Mon Roi » s’inflige cependant une construction un peu monotone sur le long terme, évacuant finalement tout effet de surprise.


Je guette Maïwenn du coin de l’œil, me demandant partout où elle se cache dans le plan. Contrairement à « Polisse » ou « Le bal des actrices », elle ne vient jamais ici troubler l’histoire d’un entremêlement entre fiction et réalité. « Mon Roi » est résolument un film de cinéma. L’esthétique est finalement assez dépouillée, sans doute parce que le spectateur ne doit pas se laisser distraire : en effet Maïwenn n’est pas physiquement là pour nous guider dans l’histoire, alors elle réduit la focale, pour ne regarder plus que l’essentiel. Le ton est tout aussi viscéral, incontrôlable. Presque furieux. Tout est là mais rien n’y est. Je suis troublée par son absence.


Maïwenn divise le public autant que les temporalités. J’ai lu que « Mon Roi » était un film hystérique. Certes, mais n’est-ce pas sa signature ? La cinéaste prône un art brut, impulsif. Voire manichéen. Ses films ont une forme de provocation, elle aurait pu par exemple choisir de réunir à l’écran un vrai couple d’acteurs, et les mener vers d’indicibles destins – imaginés, eux. Hélas. De ce point de vue, « Mon Roi » reste désespérément « classique ». Platonique. Il faut néanmoins nuancer : les dialogues sont si drôles, mêlés d’un cynisme séduisant – parfois adolescent -, qu’on retrouve avec joie ce qui fait la singularité de la réalisatrice. On lui pardonne même l’égarement d’une entrée en matière franchement pauvre, qui fait le lien entre la douleur au genou et celle du « je-nous ».


« Mon Roi » ne cherche ni à expliquer ni à comprendre : l’amour a ses raisons que la raison ignore … Ainsi Maïwenn ne fait qu’attraper des émotions au vol, pour les figer, dans ce qu’elles ont de plus beau : leur spontanéité. Elle montre l’état de dépendance de Tony, l’enfermement psychologique, la solitude névralgique. Bref, elle sacralise sa détresse de « femme normale » afin de toucher les spectateurs « normaux ».


Je m’interroge en revanche sur la nécessité de greffer un sujet dans le sujet, quand celui-ci se suffit déjà à lui-même. Était-ce bien pertinent de faire jouer Norman (qui est meilleur youtubeur qu’acteur) par exemple ? Quel sens donner à l’amitié naissante entre Tony et ce groupe de jeunes ? Des choix curieux qui anéantissent par moment les efforts de Bercot, entièrement substituée à son personnage, et ébranle la crédibilité d’un tout exquisément dévorateur.


Outre les imperfections du scénario, je suis convaincue; bien que le film soit selon moi incomplet. Les ingrédients sont là; pourtant, je ne retrouve pas la saveur d’un Maïwenn. En fait, on dirait un travail de bon élève : oublié l’aspect expérimental de ses films, voici une fiction, une vraie. A vouloir réaliser un film « mature » (elle nourrit ce projet depuis 10 ans), Maïwenn a oublié l’essentiel : le supplément d’âme. A l’arrivée, un film plutôt impersonnel.

babymad91
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le 2 juin 2015

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