Tourné sans doute très vite et avec des moyens extrêmement limités, Mon père avait raison n’est certainement pas le film le plus flamboyant de Sacha Guitry. L'auteur génialement inventif de La poison (sorti la même année) ou du Roman d’un tricheur se contente ici d’un simple enregistrement de sa pièce, sans la moindre imagination visuelle. Mais heureusement les dialogues sont comme toujours extraordinairement brillants et bourrés de jeux de mots. Ceux qui prétendent que Guitry n’était pas misogyne auront ici de la peine à défendre leur point de vue face à ce déferlement de tirades assassines à l’encontre de la gent féminine, dont la plus célèbre: «Les femmes n’ont pas d’âge. Elles sont jeunes ou elles sont vieilles! Quand elles sont jeunes, elles nous trompent, quand elles sont vieilles, elle ne veulent pas être trompées». Mais il faut penser que la pièce date de 1919 et que Guitry l’avait écrite pour son père, l’immense comédien Lucien Guitry (1860-1925), un séducteur impénitent avec lequel il entretenait une relation conflictuelle. Par delà les vacheries sur les femmes et leur supposée perfidie, la pièce et le film parlent surtout des difficiles rapports père-fils, des lourds fardeaux familiaux dont on hérite et qu’on s'empresse de transmettre à ses enfants pour s’en débarrasser. S’il est d’une grande drôlerie et interprété par d’extraordinaires comédiens qui s’en donnent à cœur joie, tout le film baigne ainsi dans un climat de mélancolie, voire d’angoisse face à la fuite du temps, aux occasions que l’on rate, à la sagesse et au goût du bonheur qui ne viennent qu’avec l’âge, alors que l’on n'a plus beaucoup d’années à vivre. «Si tu savais ce que c’est que d’avoir trente ans, il faut sans doute les avoir au moins deux fois pour le comprendre», s’exclame Charles face à son fils qui ne veut pas s’engager dans le mariage, tellement il a été conditionné négativement par son père. Et au final, c'est le droit au bonheur à tout âge (avec toutes les contradictions que cela implique) que revendique Guitry par la bouche de son personnage principal, qui est comme dans toute son œuvre son double parfait.

SteinerEric
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le 15 sept. 2020

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Eric Steiner

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