Dans une galaxie cinématographique pas si lointaine, on qualifiait Xavier Dolan de prétentieux. Pire, de hipster qui citait à tout bout de champ ses idoles comme Wong Kar-Wai avec de grands ralentis au service de films fastidieux. Un simple fan à qui on avait gentiment donné une caméra pour le faire taire. Mais, vous savez, le cinéma, c’est un peu comme cette scène de Men in Black : on oublie tout en un flash. Fini cette période où l’on méprisait injustement le jeune cinéaste, qui n’avait déjà plus rien à prouver depuis deux ans grâce à son chef d’œuvre, Laurence Anyways, et surtout fini les polémiques cannoises, sa non-sélection en 2012 dans la Compétition Officielle. Tout est parfaitement oublié, tout est sous contrôle, rira-t-on nerveusement.

Mommy sera pour de nombreuses personnes le film de la révélation. Celui qui éclairera leur visage de rires et de larmes et celui qui les opposera enfin avec un format de cinéma peu commun. Un format esthétique tout d’abord, avec ce format strictement carré, et surtout avec un format de cinéma, un grand format d’émotions en tous genres, de chansons assourdissantes et d’une espèce d’hystérie qui témoigne d’une passion de plus en plus dévorante pour le cinéma de Dolan.

25 ans à peine, cinquième film. Dolan continue de confirmer qu’il est meilleur que jamais lorsqu’il se consacre uniquement à la réalisation et ne joue pas. Mommy est un film à la fois rigoureux et libre. Une rigueur visuelle et auditive, marquée par une bande-originale tonitruante et ce format d’image, symbole d’un film qui joue la carte de l’immersion. Les chansons sont comme les personnages, entières, jamais coupées par des effets de montage, et enjolivées. Lorsque le cadre s’élargit, qu’il se rétracte, c’est une respiration qui se crée et qui se joue de nos émotions. Mommy entretient constamment une relation intime entre le spectateur et ce qu’il se passe à l’écran. Ce n’est pas qu’une histoire qui nous est racontée, mais aussi une déclaration du cinéaste au cinéma. Enragé, alter-égo de son personnage principal, transgenre et transcendé, ce cinéma de la galvanisation trouve en Mommy un véritable modèle. Vidé des tics habituels de son auteur et calquant sans mépris la mécanique des comédies américaines (la référence géniale à Maman j’ai raté l’avion), le film de Dolan est extrêmement vivace. Comme chez l’humain, il craint les longs silences et préfère amplement le mouvement, le trop-plein pour ne pas sombrer avec ses personnages. Ce trio d’acteurs exceptionnels (Antoine-Olivier Pilon en tête) est un ensemble de genres de cinéma : un film de potes, un drame familial d’une gravité sidérante et aussi un film de la séduction, semblable à Tom à la ferme, qui crée une nouvelle ambiguïté, ici sexuelle, à l’intérieur d’un récit jamais tranquille. Xavier Dolan ne supporte pas la tranquillité. Avec deux heures quinze au compteur, Mommy est dense. D’aucuns le trouveront éreintant.

Or, jamais avait-on vu Xavier Dolan mener avec tant de professionnalisme son récit et tout faire pour créer une évolution chez ses héros, qu’elle soit positive ou négative. Mommy ne sacrifiera personne, ne cherche pas à dissocier deux camps de spectateurs. C’est un film de l’unisson, un cri de ralliement derrière un cinéma qui se veut tant passionné que populaire, réalisé avec un savoir-faire incomparable. Dolan abat les murs de son propre cinéma comme il casse les règles du cadrage en allant puiser une énergie nouvelle dans des thématiques qu’il a abordées de fond en comble depuis cinq ans. Là aussi, fin d’une époque : Dolan clôt une œuvre auto-biographique pour aller traiter la figure de la mère, dans ce qu’elle a de plus symbolique, de plus auréolaire. Il n’y a plus la volonté de la tuer, mais de la sauver de ce qui ressemble le plus au chaos, le retour du fils. Tom à la ferme, d’apparence mineure dans la carrière du Québécois, apparaît aujourd’hui comme un film de transition parfait au sein des thèmes traités. L’assemblage théorique de ses films n’empêchera pas aux spectateurs d’adorer ce nouveau film, tant il apporte quelque chose de nouveau et d’essentiel au cinéma d’aujourd’hui. Cette passion qui se ressent dans chaque image et un désir de grandeur qui n’a rien de prétentieux mais qui bouleverse.

Les louanges plutôt tardives adressées à Xavier Dolan, que l’on traite dans les médias comme un jeune premier, ont de quoi inquiéter pourtant. Le consensus tue le cinéma et il ne devrait pas épargner Dolan. Il purge la société de tout ce qui fait la beauté de cet art, les longs débats, l’exaltation comme la détestation pour un film. Espérons simplement qu’il ne tuera pas la créativité du cinéaste, débordante et de laquelle peut encore nous parvenir des choses hors du commun, à l’instar de ce Mommy, nouvelle œuvre majeure et tranchante d’un des cinéastes les plus fascinants de notre époque.
Adam_O_Sanchez
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le 22 nov. 2014

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