Homme libre, toujours tu chériras ta mère

Il est difficile d’éviter les parallèles qui se dessinent dès le début du film entre le personnage de Steve et la stature du cinéaste Dolan. A l’image de Diane, le spectateur se trouve forcé de cohabiter avec une forte personnalité, qui impose ses codes fougueux et exige que l’autre s’adapte.
L’imagerie échevelée d’un ado instable a de quoi irriter dans un premier temps. Clip oscillant entre la pop sucrée assumée (Dido…) et une musique proche des ambiances de Sigur Ros, le tout sur une imagerie low-fi des suburbs canadiennes et jaunie par un soleil néanmoins poétique sur ces trajectoires libertaires en caddie ou longboard… Dans la droite lignée de States of Grace, on est tentés de décliner, surtout lorsqu’on sait qu’on s’engage dans un film de 2h20.

Dingo, libre dans sa tête.

A croire qu’il le faisait volontairement pour mieux nous conquérir par la suite, Dolan opère un changement de point de vue par l’irruption du personnage de Kyla, voisine mutique, puis bègue, qui s’épanouira au contact de frappadingues comme une fleur fragile.
« Accroche ta ceinture, on va décoller », prévient Diane quand Steve met la compile du père décédé. Programme audacieux, mais qui emporte tout : il fallait quand même un sacré culot pour m’émouvoir avec du Céline Dion.
Dès lors, le trio formé nous entraine à sa suite, et le travail en tous points exceptionnel des acteurs permet une chevauchée sur les montagnes russes du pathos : la vulgarité qui touche, le rejet d’un monde conventionnel, et les crises qui brisent un temps l’harmonie pour rappeler sa précarité. Celle qui oppose Kyla à Steve, lorsqu’il la provoque et arrache son collier, est l’un des très grands moments du film, et pose l’une de ses petites limites : à trop vouloir jouer au yoyo avec leur destin et les émotions de l’audience, la répétition guette, ainsi que l’affadissement, que Dolan a tendance à conjurer par une certaine surenchère (comme la scène de karaoké ou du supermarché, par exemple).

Vol au-dessus d’un nid de casse-cou(ille)s.

Mommy est une bombe émotionnelle ; à prendre ou à laisser, mais s’y exposer implique qu’on en accepte les dommages collatéraux. Excessif, jeune et fougueux, il ne fait pas de concessions. On peut ergoter sur les passages en force, comme ce carton initial sur la loi de 2015, gage de « crédibilité » assurant les rails vers le dénouement, ou le jeu sur les formats. Le 1:1 fonctionne assez bien pour oppresser, et l’élargissement fonctionne la première fois, même si le fait qu’il le soit par les mains du protagoniste manque tout de même de subtilité. Il en est de même pour les caméras portées et les champs/contre champs sans cut.

Quand on a que l’humour

Il reste cette alchimie imparable, la grâce avec laquelle Dolan sait orchestrer l’humain, une langue phénoménale, d’autant plus humaine qu’elle est argotique. Portraitiste hors pair des femmes, doté d’une tendresse infinie pour son protagoniste, Dolan creuse un sillon qui est le sien, se débarrassant des motifs extérieurs (du sexe ou du polar) pour plonger tête baissée dans les soubresauts d’une humanité fragile.


La came isole.

[Spoilers]
« L’amour n’a rien à voir là-dedans, malheureusement », annonce une responsable du centre au début du film. Démenti lucide à cette malédiction initiale, Mommy hurle, mais sait aussi s’épanouir avec une maturité impressionnante, à l’image de l’échange final entre les deux femmes : composant avec les non-dits, et la prise de conscience que la parenthèse enchantée s’achève, le film se teinte alors d’une mélancolie qui nous a fait accéder au triste monde des adultes arrachés aux fulgurances de la jeunesse désormais anesthésiée par les calmants.

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Sergent_Pepper
8
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le 12 oct. 2014

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Sergent_Pepper

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