« La sonatine alla son train, impunément »

Moderato Cantabile, ainsi porté à l’écran, ne parvient pas à extraire du temps quotidien marqué par les entrées et sorties des travailleurs ouvriers un temps hors du temps, celui de la passion qui rapproche sans jamais les unir Anne et Chauvin, là où le roman de Marguerite Duras tissait remarquablement ces deux temporalités. Il y a, dans la mise en scène de Peter Brook, un figement des scènes et des enjeux associés qui s’oppose pleinement à sa théorie du théâtre, notamment à ce qu’il nomme le « théâtre immédiat » : nulle perpétuelle quête de sens, mais une explicitation permanente de la dimension symbolique de l’œuvre, à savoir le caractère fascinatoire et prémonitoire d’un drame survenu dans un café où se retrouvaient une femme et son amant et où se retrouvent Anne et Chauvin. Cette unité de lieu, maintenue jusqu’à la fin du roman, éclate néanmoins dans son adaptation, donnant forme à un chassé-croisé amoureux sur les espaces vides traversés (les quais notamment) très bien photographié par Armand Thirard. Les reprises musicales participent à la formation d’une boucle narrative que n’incarnent ni la mise en scène, uniformément lancée sur une mesure à quatre temps, ni l’interprétation sérieuse mais sans alchimie des deux comédiens principaux. Brook ne réussit pas à restituer le vertige de la communication, sinon lors d’une séquence de réception bourgeoise : la parole est récitée, écrite dans la perspective d’un effet attendu et obtenu. Nous sommes loin de ce que Duras trouvait passionnant, comprenons « ce que les gens pourraient se dire s’ils en avaient les moyens, et ce qu’ils ne se disent pas tout en se le disant ».

Un film soigné mais simpliste et trop schématique, qui ne s’aventure pas assez dans les méandres de l’identité à l’épreuve du temps et des autres.

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le 28 mai 2023

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