Rarement je n’ai été si reconnaissant envers le cinéma d’action actuel d’être ce qu’il est. C’est grâce à une uniformisation constante et résignée dans la surenchère et l’euphorie du second degré que, depuis des années, les réalisateurs pyrotechniques trouvaient le salut, justifiant leurs folies par les excès d’un délire viral. C’est grâce aux Marvel, DC, Expendables et Fast & Furious que l’art de McQuarrie trouve sa pleine force, dans un contraste éblouissant entre le clown soignant son anxiété dans l’autoparodie et le courage de monter un pur film d’action assumé, florissant au dessus d’une source née dans un savoir faire ancien, où la puissance d’une scène explosive éclatait à la surface d’une belle sobriété.


Après Jack Reacher, placer quelques espoirs dans ce M:I5 était chose normale, le polar de McQuarrie laissant pantois un spectateur plus habitué à suivre une histoire quand il pense retrouver sa pitance habituelle, gavé aux déflagrations introduisant d’autres déflagrations, elles-mêmes introduisant le film prochain promettant un nouveau sommet dans le style volcanique. Jack Reacher était posé, ronronnant, plus lancinant que lent et dissimulait une puissance sismique derrière une trame efficace. Lent ? Manque d’audace ? Bien au contraire. Souviens-toi de Die Hard et de sa magnifique retenue et ose me dire qu’il ne faut pas une audace folle pour sortir ce M:I5 entre deux flammes costumées. C’est donc avec un plaisir évident que son réalisateur réaffirme ici cette maîtrise d’une surface d’huile truffée d’éclats soudains et saisissants. Il est aujourd’hui rare d’entendre une sale entière retenir son souffle pendant une scène, déjà parce-qu’il est de toute façon rare d’entendre quoi que ce soit aujourd’hui autour de soi tant chaque projection du genre prend des allures sonores d’apocalypse, ensuite parce-que perdu au milieu d’une débandade épileptique incessante, le spectateur s’enlise, oubliant d’attendre quoi que ce soit, l’idée même de la surprise, pourtant fleuron d’une mise en scène soignée, se voyant faner dans l’atmosphère raréfiée de la dérision sans temps morts. Alors ce film surprend. Ce n’est pas un de ces films qu’on s’excuse d’avoir apprécié sous le pardon bienveillant et quelque peu épuisé du “c’est con mais ça défoule”, c’est un modèle, un nouveau canon du genre s’imposant sur l’horizon des salles obscures dans les drapés de la sobriété et du rythme, se permettant avec surprise d’assumer son style par l’art d’une caméra aussi bien posée, stable, que gérée au millimètre quand l’oeil du cyclone commence à faire des siennes.


Cette “saga” a cela de particulier qu’elle multiplie les réalisateurs, épargnant à chacun de ses rejetons les affres souvent excessifs de la comparaison. Cela dit, rien à foutre, c’est ici en présence du meilleur de tous qu’on est, celui qui saura allier un peu du meilleur de quelques uns des précédents épisodes valables, entre une intrigue arachnéenne classique mais parfaite, et l’humour dosé à point pour un ensemble au fumet 80’s/90’s du plus bel effet. Bien sûr, ça on le doit en partie à son acteur principal qui accumule les actes de bravoures (s’échinant à prouver sa folie pure ?) pour servir un personnage authentique, présent pour son public où que ce soit, suspendu à un avion ou à cheval sur une moto lancé sur l’asphalte à 200 km/h en chemise hawaïenne. Ce mec fait un boulot respectable bien que frisant l'inconscience, et offre un cachet de véracité évident à la plupart de ses rôles. Putain ces scènes sérieusement, j’veux dire, pas uniquement pour cette témérité insensée, acte d’un funambule saisi d’ordalie, mais cette manière de les filmer, ce rythme, cette caméra, cette façon d’amener la frénésie comme un kraken surgissant des eaux, avant de s’en retourner sous le linceul d’une surface tout juste ridée. Combien de temps qu’on avait pas vu une caméra aussi apte à raconter, à coordonner l’action ? Cette alliance de stabilité et de mobilité furtive faisant encore une fois honneur à des trucs qu’on avait pas vu depuis longtemps, sans jamais sombrer dans les excès dégorgeant qui font les tentations de beaucoup de ses concurrents. Et comme il faut encore ajouter à ça une galerie de personnages d'exception, du sidekick comique parfait au méchant très méchant tout aussi excellent, en passant par une héroïne d'acier CREDIBLE derrière laquelle Tom fait le beau choix de s'effacer par instants, on a là quelque chose de tout à fait exceptionnel.


Ça faisait tellement longtemps que le bon sens quémandait de cacher son panard derrière le paravent salvateur du plaisir coupable ou de la défoule décérébrée qu’on se retrouve presque perdu devant ce direct à l’estomac, sans fioritures, sans excès, d’une efficacité redoutable à tous les niveaux. La caméra de McQuarrie, secondée par l’autre fou furieux forcé de produire lui même ses films pour pouvoir tenter ses plus improbables lubies, devient un modèle du genre aujourd’hui et s’affirme définitivement comme tel. Et quelque part, espérons que personne ne suive vraiment cet exemple, après tout c’est aussi son originalité qui fait sa force.

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le 15 août 2015

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zombiraptor

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