Ma foi, ce ne fut pas la catastrophe pressentie. Mais n’ayant pas lu les romans de Ransom Riggs, cet a priori ne concernait en aucun cas l’adaptation pure (état d’esprit lui-même désuet) mais bien... Tim Burton. La chose est ainsi symptomatique en ce qui concerne le statut de sa carrière, aujourd’hui en ballottage défavorable à l’aune d’une succession de réalisations au mieux passables, au pire ratées : néanmoins, cette approche du spectateur en dit également long quant à l’influence que peut receler pareil déclin, en l’espèce sujet à un consensus généralisé des plus insidieux.


Si je prends mon cas, cela tient de l’évidence : hormis l’insipide Alice au Pays des merveilles, je n’ai vu aucun de ses films depuis Charlie et la Chocolaterie, lui-même passable. Avec dans un coin de tête la désagréable expérience du remake de La Planète des singes, la cote du cinéaste chute alors drastiquement, et ses projets suivants en pâtissent logiquement : dois-je pour autant juger par anticipation de leurs qualités respectives ? Bien sûr que non. Miss Peregrine et les Enfants Particuliers s’apparente en ce sens à une piqûre de rappel qui, à défaut d’être exempte de tout défaut, se sera avéré être une bonne surprise.


Pourtant, son étiquette d’énième adaptation d’un hit de la littérature jeunesse fantastique pouvait enjoindre à la circonspection : bien au contraire, le papa d’Edward aux mains d’argent y aura parfaitement trouvé son compte en liant sa patte à un récit plutôt engageant, les péripéties de Jacob Portman nous conviant au sein d’un univers singulier comme rafraîchissant. Au rang de ses atours notoires, le film démontre d’une certaine propension à l’épouvante (toute relative) et rompt donc avec les poncifs du genre ; l’effet est d’autant plus efficace que Burton excelle pour ce qui est de créer des décalages de tons, humour noir, féerie et teneur glauque s’entremêlant pour former un tout des plus divertissants.


Sa signature y est ainsi palpable, qu’il s’agisse du quartier pavillonnaire entraperçu brièvement, de ce poétisme ambiant ou d’un antagonisme versant dans une plastique monstrueuse : un emballage savoureux en somme, parfait support d’un récit allant crescendo jusqu’à ce final déluré, la séquence du quai étant à ce titre savamment fantasque. Pour le reste, il convient de pointer du doigts quelques écueils de taille, ce tableau bigarré entretenant tout du long une écriture parfois paresseuse, parfois incohérente... au point de tronquer le potentiel prégnant de l’œuvre.


En termes de dynamiques, la manière dont le scénario de Jane Goldman fait traîner les choses est proprement illégitime : se contredisant à l’envie, il est promis à Jacob des réponses, mais Peregrine coupera court aux sujets importants... mais pour quels motifs ? Rien de vraiment concret, ou tout du moins compréhensible, à l’image des caricatures boursouflées que sont bons nombres de personnages, qu’il s’agisse de parents à côté de leurs pompes ou même d’un Baron adepte du monologue improductif : sur ce point, c’est d’autant plus regrettable que cela amoindrit significativement le suspense final, cette adversité en berne se traduisant notamment par des seconds couteaux inutiles à souhait.


Ne nombreuses ficelles de mauvais aloi égratignent donc la bonne volonté de Miss Peregrine et les Enfants Particuliers, telle cette romance clairement forcée entre Jacob et Emma où l’on a l’impression que c’est inéluctable parce que... parce que. Il y a aussi des soucis plus intrinsèque au support papier, car si le concept des boucles demeure atypique comme intrigant, son usage prête à confusion : forcément, quiconque trifouille dans le voyage dans le temps s’expose à retour de flamme d’ordre logique, mais là n’est pas le plus « dérangeant ». En effet, l’empreinte « institutionnelle » qu’incarnent les Ombrunes pose question, leur multiplicité contredisant la « particularité » des enfants ; le fait de les protéger à la « Peter Pan » est également étrange, de même que le pouvoir des Portman qui n’a au demeurant pas de sens : les Creux n’étant pas naturels (quand bien même le récit serait surnaturel par essence), comment un tel don a pu apparaître ?


Miss Peregrine et les Enfants Particuliers échoue donc à maintenir l’immersion de bout en bout, la faute à une diégèse dénotant trop souvent : pourtant, par-delà de tels imprécisions, la magie du divertissement opère. Si nous pourrons regretter que l’enjeu des Creux et de Baron soit expédié en si peu de temps (condamnant une potentielle suite ?), Tim Burton aura bel et bien assuré l’essentiel.

NiERONiMO
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le 4 mai 2019

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