Cela ne surprendra personne si l’on affirme que le dernier film de Lanthimos est surprenant. Ayant déjà engagé son comédien Colin Farrell sur des voies bien singulières dans son précédent et dystopique Lobster, il poursuit par une nouvelle fable noire qui commence par des fausses pistes.


Certes, le gros plan initial sur un cœur ouvert (deuxième audace anatomique au festival de Cannes après le vagin dans L’Amant Double de François Ozon) annonçait la couleur, mais sa légitimité – une opération chirurgicale - va donner le ton d’une longue exposition dans laquelle le cadre est des plus réalistes. Des couloirs de l’hôpital à la demeure de monsieur et sa petite famille bourgeoise, tout est impeccable, rutilant, et le vocabulaire oscille entre great, beautiful, amazing et clean.
La suspicion sur cette carte postale trop glacée pour convaincre sourd évidemment dès les premières minutes. Lanthimos prend son temps, évoque les jeux sexuels du couple (visiblement, l’anesthésie générale fait fantasmer monsieur) et la façon dont tout se dit sur un même plan étonne : on évoque aussi bien un concours de limonade que les règles de la fille ainée.


La mise en scène est à l’avenant : impeccable, au fil de travellings qui magnifient les architectures rectilignes, dans un mouvement continu qui épaissit l’angoisse de ces tableaux où les personnages ressemblent à des pantins, avant l’avènement de l’avilissement des corps.


Advient enfin l’élément réellement perturbateur. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le jury a fait preuve d’une audace aussi ostentatoire que celle de Lanthimos en lui attribuant le prix du meilleur scénario. (Une remarque qui vaut aussi pour son exæquo, You were never really here).


Cette histoire de chantage surnaturel avec compte à rebours corporel s’annulant comme par magie si le père fait le choix d’assassiner un membre de sa famille au lieu de voir lentement la totalité de celle-ci agoniser est aussi improbable que forcée dans l’écriture.


On décèle surtout ici une sorte d’arnaque couturée de fil blanc, et assouvissant les penchants sadiques du réalisateur, ravi de pouvoir mener aussi loin que possible sa mainmise sur des personnages qui n’en demandaient pas tant. Si l’on ajoute à cela un usage poussif et insupportable de la musique, l’irritation est à son comble.


Il faut donc faire preuve de patience, et laisser s’épancher des rires au départ sarcastiques, puis francs à mesure que l’humour noir de l’épilogue s’affirme de plus en plus clairement. La farce à laquelle on aboutit est aussi grotesque qu’elle est amusante, et la scène de la cagoule est en ce sens assez mémorable, avant une conclusion d’une absurdité trop nette pour être considérée comme un ratage.


Si l’on prend son film au sérieux, ce que semblait indiquer la première direction prise par le récit, Mise à mort du cerf sacré n’est pas loin de la catastrophe ; si l’on se laisse aller à savourer son absurdité en l’honorant d’éclats de rire, Lanthimos a su, en un sens, atteindre sa cible.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 1 nov. 2017

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