Voici un film que j'ai vu et revu, vu à nouveau et re-revu …

C'est le dernier film de Douglas Sirk réalisé en 1959 : un chef d'œuvre.

Bien sûr, il faut accepter de replacer ce film dans un contexte des années 50 où il y avait un racisme latent très fort aux USA et où la femme (au sens général) commençait à "exister" professionnellement et sentimentalement. Si les mêmes préoccupations subsistent aujourd'hui, les données de base du film ont notablement évolué.

L'histoire en quelques mots : deux jeunes femmes veuves et leurs deux filles se rencontrent par hasard et deviennent amies. Elles décident de vivre ensemble. Une des femmes est Lora, belle blonde qui ambitionne une carrière d'actrice. L'autre est Annie, belle femme noire qui n'a d'autre ambition que d'aimer et d'élever le mieux possible sa fille. Rapidement, Lora volera de succès en succès et Annie sera l'élément stable de la "famille" et s'occupera de la maison et des deux fillettes.

Douglas Sirk avait commencé à aborder le sujet de l'émancipation féminine dans "tout ce que le ciel permet" où Jane Wyman incarnait justement le rôle d'une jeune veuve tentée d'exister à travers l'amour d'un homme plus jeune et de condition sociale "moindre" au grand dam de ses enfants et de ses relations. Dans "Mirage de la vie", Douglas Sirk met en scène Lora, une femme ambitieuse qui cherche à faire carrière au théâtre. Pas à n'importe quel prix. Par sa propre valeur. En conservant toute sa dignité. Mais, il faut bien l'avouer, en sacrifiant une part de sa vie familiale et sentimentale.

Le personnage de Lora reste important dans le film car il sera un des moteurs (un exemple) du désir d'émancipation de la fille d'Annie, Sarah-Jane. Mais il faut maintenant absolument parler d'Annie qui me parait être le personnage central du film autour duquel tous les autres personnages gravitent. J'ai dit qu'Annie était noire mais il se trouve que sa fille Sarah-Jane est métisse et a une peau blanche. Le racisme est essentiellement abordé dans le film à travers le rejet absolu et définitif par Sarah-Jane de son origine noire. Ça commence de manière – presque - soft lorsque Sarah-Jane refuse de jouer avec une poupée noire pour se poursuivre de façon très cruelle et très violente à l'école où Annie découvre que Sarah-Jane a honte d'elle en public et refuse obstinément la réalité.

Ce qui est intéressant dans le message du film, c'est qu'il n'y a pas de racisme dans la sphère privée. Le racisme ne s'exerce que dans la sphère publique, dans le rapport à autrui.

En effet, Suzie, la fille de Lora, peinée de l'absence récurrente de sa mère, trouve amour et affection chez Annie qui devient sa seule confidente.

Tandis qu'à l'extérieur du cocon familial, Sarah-Jane est violemment battue par son flirt, blanc, le jour où il découvre qu'elle lui a caché que sa mère est noire. Et pourtant, c'est bien là qu'est l'ambition de Sarah-Jane : sortir de cette condition, à laquelle elle semble bien destinée par ses origines, par sa mère et aussi par l'Eglise baptiste, pour vivre libre et émancipée et surtout profiter de cette si opportune peau blanche.

Dans ce film, il n'y a que de beaux personnages magnifiquement joués par de bons acteurs, très investis dans leurs rôles.

Le personnage d'Annie est interprété par Juanita Moore. Elle est humble et d'une bonté infinie. Elle est malheureuse du sort de sa fille "née pour souffrir" qui lui brisera le cœur. Douglas Sirk se surpassera pour rendre un dernier hommage très émouvant à Annie dans des funérailles grandioses avec un vibrant "trouble of the world" chanté par une extatique et somptueuse Mahalia Jackson.

Le personnage de Sarah-Jones est interprété par Susan Kohner qui joue magnifiquement ce personnage complexe et complexé qui rejette sa mère (et son origine) par nécessité mais qui au fond, ne cessera jamais de l'aimer. Trouvera-t-elle sa voie ? A quel prix ?

John Gavin, dont je n'ai pas encore parlé, est le seul homme de l'histoire. Le personnage incarne la stabilité, l'ami sincère et (finalement) désintéressé des quatre femmes. Celui qui cristallise un autre type d'amour. Il est en arrière-plan mais pourtant si présent dans le cœur des quatre femmes.

Il me reste à parler de Lana Turner qui incarne le personnage de Lora. Son personnage est aussi très complexe car elle se partage entre sa carrière et l'amour qu'elle porte à sa fille. Au final, elle apparait comme quelqu'un de passablement égoïste qui s'affranchit et s'arrange vite des difficultés de la vie et de sa famille. Au final, elle se rend compte de la vacuité de sa vie qu'elle soit professionnelle ou sentimentale. Elle se rend compte qu'elle est peut-être passée à côté de quelque chose. Lorsqu'elle s'étonne du nombre d'amis qu'Annie possède, Annie lui répond "mais vous ne m'avez jamais posé la question !"

En conclusion, un somptueux mélodrame que nous livre Douglas Sirk comme chant du cygne avant de s'effacer définitivement d'Hollywood.

C'est un film qui interroge le spectateur (moi en particulier !) sur de grands sujets, qu'on pourrait résumer par l'importance ou la nécessité de "être" par rapport à l'illusion de "paraître".


JeanG55
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le 5 juil. 2022

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