Un an, à peine, après la sortie de A.I. intelligence artificielle, Steven Spielberg replongera dans l’univers de la SF et signera un trépidant et visionnaire polar d’anticipation avec Minority Report. Le cinéaste usera de son talent afin de nous questionner sur la place du libre arbitre dans une société pré ordonnée : une fausse utopie sans criminel.


Bien que Spielberg semble peu se soucier des répercussions de ce conditionnement social et judiciaire sur la population humaine, il met en scène un scénario brillant où la réalité virtuelle souligne le comportement d’une réalité calibrée sur une échelle de valeur qui n’est plus humaine. Grâce aux visions d’oracles qu’on nomme les précogs, les agents de police peuvent anticiper les meurtres. Dès lors les criminels sont arrêtés avant qu’ils n’aient réalisé l’acte. Sauf que cette technologie va se retourner contre l’agent Anderton, qui deviendra lui aussi un suspect.


L’humanité est si effrayée par sa propre mémoire, par son propre instinct et ses propres pulsions qu’elle doit négocier une réalité interrompue par des décisions qui modulent à la fois le passé et le futur. A travers ce récit de science-fiction, Spielberg nous interroge sur notre libre arbitre, sur la réalité même des images et de l’interprétation que l’on peut faire d’un instantané. Question qui est à la fois sociétale mais aussi religieuse. On pourra toujours se demander si le libre arbitre fait de cet avenir prédestiné une possibilité plutôt qu’une certitude : la vision des précogs est-elle exacte ou a-t-elle été altérée par l’apparition de leurs propres décisions ? La société est régie par une dialectique de pensée judiciaire qui devient un cercle vicieux.


Le libre arbitre, la présomption d’innocence n’existe plus : les oracles parlent. Derrière cette cavalcade policière et philosophique, Spielberg montre avant tout ses qualités de metteur en scène : comme souvent, le mouvement est important dans la genèse rythmique de son œuvre. Le charisme de Tom Cruise opère avec panache : il incarne un policier meurtri par la disparition de son fils, et devient l’arroseur arrosé d’un système à qui il a donné les lettres de noblesses. Minority Report de Steven Spielberg semble, visuellement, moite et décoloré. Derrière leurs sagesses, leurs candeurs, les oracles sont utilisées à des fins totalitaristes pour agencer un monde qui vous juge pour des actes que vous n’avez pas encore commis. De tels paradoxes et réflexions sont l’épicentre de Minority Report.


La course poursuite qu’est Minority Report n’est pas qu’une simple histoire de fugitif qui voudrait s’échapper et mettre la lumière sur son innocence mais se révèle être une course contre la montre d’une humanité qui se bat contre sa propre mort, pour rétablir un ordre de pensée qui soit réflexif et arbitraire plutôt que schématique et matérialisé à outrance. Minority Report contient des séquences exceptionnelles notamment lorsqu’Anderton saute à travers les voies de voitures à lévitation magnétique qui accélèrent à la fois horizontalement et verticalement dans un paysage urbain automatisé ou lorsqu’il se plonge dans une baignoire tandis que des araignées mécaniques tentent de l’identifier en scannant sa rétine – celle qu’il vient de se faire implanter.


Alors que Spielberg manipule son film entre les interstices de nombreux genres, allant de la science-fiction au thriller, du polar au récit politique, Minority Report est un étalon cinématographique : sa direction artistique d’anticipation est parfaite, nourrit la confusion et la proximité avec notre monde, ses scènes d’actions pleines d’envergure accentuent le suspense qui s’intensifie au fil des minutes. Minority Report est un condensé presque implacable de la filmographie de son réalisateur : sous les déflagrations philosophiques et thématiques d’une intrigue retord, le cinéaste implante sa vision humaniste du monde dans les encablures d’une mise en scène souple et dynamique. Mais à l’instar d’A.I intelligence artificielle, Spielberg n’est pas si éloigné d’un Stanley Kubrick en oubliant peu à peu sa sympathie émotionnelle habituelle, et en acquiesçant des questionnements sombres, notamment ceux sur le deuil dans un environnement futuriste.


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le 19 mars 2018

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