(laissez tomber, je croyais être guéri depuis plusieurs critiques, mais je viens de faire une rechute: c'est long et chiant)



(non ? Bon, vous l'aurez voulu)


La vision du dernier Fincher me condamne (douce condamnation, j'en conviens) à écrire ici quelques les quelques réflexions que m'ont inspiré ce film.
Les premières concernent le réalisateur, les secondes le matériau de base du métrage: le roman de Stieg Larsson et son adaptation.

Fincher constitue désormais pour moi une relative exception. En ces temps où je me plonge un peu plus, chaque semaine, et depuis des mois, dans les films allant des années 20 aux années 70, classiques ou non, Fincher fait désormais parti de ceux dont je vois chaque nouvel exercice de style avec autant de plaisir. Car de style, le bonhomme de manque pas. Je parlerai même d'une certaine classe, perceptible de deux point de vue distincts:

- du côté de la narration, d'abord.
Fincher, comme très peu (aucun ?) de ses contemporains, maitrise l'art de diriger sa caméra de façon à ce ses mouvements racontent des choses. Ce trait n'était comparable que chez M.Night Shyamalan en début de carrière, avant qu'il ne s'autodétruise par manque absolu d'inspiration. Ainsi, la plupart des travellings et des effets de Fincher (attention, je ne livre ici que des réflexions de béotien éclairé, nulle trace d'étude de cinéma chez moi, hein ?) contrairement à 95% des productions actuelles, servent le propos, ne constituent en aucune façon des démonstrations creuses, concessions infaillibles à la modernité, dont nous abreuvent tant de block-busters de ces 20 dernières années.
Car, ne nous trompons pas, Fincher participe bien de cette catégorie de films faits pour le grand public. On est bien d'accord: ce n'est pas du film d'auteur, encore moins de l'avant-garde.
Dans cette mêlée d'un genre sinistré, David apparait donc, dans mon paysage personnel, comme un film-maker à part. Son style, c'est celui du sens visuel. Sa marque de fabrique, c'est de raconter autant par ses dialogues que par ses cadrages.
De fait, la complexité narrative liée à l'arborescence de la famille Vanger devient presque limpide grâce aux idées de mise en scène de Fincher.

- du point de vue d'un certain esthétisme classieux qui colle bien au propos.
Je tente de m'expliquer. Depuis ses débuts, Fincher a toujours tenté de mettre son talent au service de films qui, s'ils ne peuvent être taxés d'intelligents pour ne pas déclencher les foudres de ses détracteurs, peuvent au moins se targuer d'avoir quelque chose à dire. De manière trop puéril pour certains (Fight Club), trop superficielle pour d'autres (Social Network), ou encore trop fleur-bleu pour beaucoup (Benjamin Button), ses productions, pourtant, ne peuvent être accusées de plonger dans les abimes de bêtises dans lesquels se vautrent tant de productions qui font tant d'entrées dans les salles obscures ces dernières années, pour des masses avides d'action sans idées, et qui se semblent jamais rassasiées de médiocrité.
A ce degré de relative exigence intellectuelle correspond un niveau de mise en scène, une certaine exigence de la forme, une classe, oui, je n'ai pas peur du mot (déjà utilisé plus haut), une classe dont ne peut se parer un Soderbergh par exemple, dont le côté trop souvent clinquant étouffe le fond.
Dans ces univers décérébrés aux réalisations clinquantes et creuses, Fincher apparait donc comme un réalisateur singulier, intéressant et au combien estimable, et il n'y a que bien qu'un Torpenn assoiffé d'un anti-modernisme viscéral pour ne pas s'en rendre compte, ou pire, ou pour ne laisser transparaître, de manière très diffuse (et pour qui sait lire entre les lignes) un certain intérêt qu'à coup de formule sibylline dont il a le secret, parant pourtant sa mauvaise foi légendaire (pour laquelle nous sommes si nombreux à l'aimer) d'une circonspection et d'un manque de dédain qui ne trompent pourtant pas.


Reste le roman, lu il y a quelques années, et vu dans son adaptation suédoise il y a un an (j'en aurai donc bouffé du millénium...).

Le texte, dont est tiré ce film, est un bon exemple de ce qu'un (énorme) succès de libraire peut quand même proposer de réussi. C'est sûr, il n'évite pas certains écueils repris ici et la. Les thématiques sont parfois surannées: viols, nazis, hackers, énigme biblique, rebondissements convenus et j'en passe, l'exercice ne manque pas de poncifs.
Mais il allie aussi deux formidables atouts qui font du premier tome un roman de genre réussi: une relecture moderne des plus sympathiques d'Agatha Christie (l'île dans le grand nord, le pont, la famille sclérosée et décadente parmi laquelle se trouve l'assassin, le mystère...) doublé d'un arrière fond de polar économique auquel le métier d'origine de Larsson n'est pas étranger. 
Le charme qui se dégage du premier opus disparaît d'ailleurs presque totalement des deux épisodes suivants (dont il faut d'ailleurs que, avec le recul, je m'empresse de baisser les notes) à cause de la disparition même des deux éléments pré-cités. 

L'adaptation du meilleur des trois Larsson est donc, vous l'aurez compris, une réussite.
Aucune impasse gênante n'est pratiqué. Mieux, c'est avec un certain bonheur que l'art de l'allusion et de l'ellipse permet à chaque lecteur de retrouver ses petits, quelque soit l'aspect qu'il a préféré du livre.
On retrouve bien, dans le scénario le côté malin que je reconnais au réalisateur du film.
L'autre bonne surprise repose sur le casting. La décision, sage mais jamais assurée, de garder l'action en Suède, est parfaitement servi par un choix d'acteurs dont jamais on ne se dit que leur américanité gâche la pellicule: Daniel Craig, Christopher Plummer, Robin Wright ou Joely Richardson auraient tous pu naitre sous le soleil froid scandinave (et je ne parle pas de Steven Berkoff ou surtout Stellan Skarsgård).
Bien entendu, Rooney Mara s'impose dans le rôle si casse-gueule de Lisbeth Salander.
Et si on est confondu devant sa capacité de devenir charmante le temps d'une scène (celle ou elle séduit Mikael), il suffit de jeter un oeil sur sa plastique avenante (sur internet) pour voir à quoi elle peut ressembler en dehors du plateau de Millenium. On comprend mieux.

Bref, du grand public bien pensé, bien réalisé, agréable à l'œil et à l'esprit, sans ambition démesurée mais sans concession grotesque à la facilité.
De la bel ouvrage, quoi.

Seul déception: ce générique tant de fois vanté, et finalement assez décevant, moi qui étais avide de le joindre à ma liste: http://sens.sc/JV85Ry, qui se révèle être un clip à l'esthétique putassière (pour le coup) baignant dans une reprise de peu d'intérêt de Led Zep qui comporte le gros inconvénient de n'avoir aucun rapport avec le reste du film.

En fait, j'aurai pu résumer plus rapidement tout ce qui précède: j'aime bien David Fincher.
guyness

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