Quand on a appris que le deuxième Millénium hollywoodien allait se faire sans David Fincher, l'artisan du premier (The Girl With The Dragon Tattoo, TGWTDT), ni son casting, c'est-à-dire sans Daniel Craig mais surtout sans Rooney Mara dans le rôle de Lisbeth Salander, la plus pertinente question était de se demander ce que les gars du studio avaient fumé. Après la sortie de TGDT, et en dépit de ses résultats hélas assez médiocres au box-office (en même temps, dur de lutter contre un Mission : Impossible...), on était prêt pour la suite, on était chaud, on la sentait même carrément bien. Ça n'était pas annoncé, mais il était dit que l'équipe était « in », et Steve Zaillan avait même commencé à écrire son adaptation de The Girl Who Played with Fire. Et n'oublions pas l'Oscar pour Rooney Mara ! Ce n'était pas rien. Ça aurait dû jouer. Mais voilà-t-y pas que le studio a fait la petite bite, excuse my french : si TGDT n'avait pas marché, c'est parce qu'il était trop long, trop sombre, trop pervers, trop intellectuel (certainement pas parce que Sony n'avait pas su comment le vendre), et si jamais une suite devait se faire, mieux valait repartir de zéro. Ce raisonnement se tient, mais ça ne le rend pas approprié pour autant, ni juste. Fincher s'était approprié assez génialement l'univers de Millénium, les fans (à commencer par ceux de Rooney Mara en Lisbeth) n'étaient pas non plus en quantité négligeable, et parions que la même équipe aurait su livrer un deuxième film un peu plus court et plus rythmé que le premier... il fallait juste que le studio ne fasse pas la petite bite. Hélas, on connait la suite.


Mais ce n'était pour autant pas une fatalité. Tout cela avait un peu l'air d'un plan pourri, mais rien n'est jamais écrit, et l'auteur de ces lignes était disposé à donner sa chance à ce The Girl in the Spider's Web (TGSW) (mention au titre français bien pourri, au passage), car... après tout, il avait eu raison de donner la sienne à TGDT. Le film de Fincher s'est avéré largement supérieur au film de Niels Arden Oplev, et Rooney a fait un encore meilleur boulot que Noomi Rapace, mais c'était loin d'être couru d'avance : quand on avait vu la version suédoise (au demeurant d'excellente facture) et avait été à juste titre marqué par la performance de l'intimidante Noomi Rapace, on était en droit de douter de l'adaptation américaine car d'une, Fincher n'est pas non plus une garantie absolue de qualité (The Game ?), et de deux, la petite Rooney Mara, sœur de Kate, ne criait pas « LISBETH » quand on la voyait en photo. Et pourtant ! Alors, pourquoi pas, TGSW ? Pourquoi pas, Fede Alvarez ? Le gars n'est peut-être pas David Fincher, mais ses deux premiers films, son remake sardonique d'Evil Dead et son oppressant Don't Breathe, étaient deux tartes dans la gueule pour les amateurs de cinéma de genre. Il avait bien réussi à refaire un film de Sam Raimi.


Sauf que non, parce que vous savez pourquoi


Mais si jamais les miracles existent, ils sont sans doute faits pour n'arriver qu'une fois. Une adaptation américaine réussie de Millénium : un miracle, pouf, terminé, et déjà bien content. Un remake réussi d'Evil fucking Dead : un autre miracle, pouf-pouf, terminé pour Fede, le faiseur d'images uruguayen n'étant pas non plus Saint Antoine de Padoue. Parce que voilà : un miracle est ce qu'il aurait fallu, au grand minimum, pour tirer un bon film d'une entreprise aussi mal lunée que TGSW. Soyons directs : c'est une débandade de magnitude 6,5, ce qui n'est pas si confidentiel quand les structures ne sont pas adaptées.


En parlant de structures inadaptées, TGSW, c'est du Millénium émasculé. Émasculé comme son insipide version de Michael Blomkvist, on revient dessus plus bas. Sauce mainstream-quinoa. Ne serait-ce que d'un point de vue graphique : le film est « rated R », mais ce qu'on voit à l'écran relève plus du PG-13 à peine relevé au tabasco. Tout d'abord, l'hémoglobine est des plus timorées. Ça tire pas mal, ça c'est sûr, et ça tire des sales tronches, mais rien d'inoubliable. Non pas qu'on attendait un festival de gore... mais on était en droit d'attendre PLUS, de la part du gars qui a refait Evil Dead. Ensuite, pop-corneurs amateurs de tits and guns, soyez avertis, vous n'aurez le droit qu'à environ 0.4% du taux de nudité attendu (c'est-à-dire rien, à l'exception de la silhouette d'une nana recouverte de tatouages sortant d'une pièce au début du film, comme si ce dernier essayait de faire croire aux connaisseurs qu'il est chaud-bouillant comme ses prédécesseurs...) : par exemples, Claire Foy se balade dans des sous-vêtements de grand-mère emo quand elle est chez elle (ce qui a aussi des airs de compromis) ; une fois délivrée de l'espèce de chrysalide de latex où la méchante l'avait enfermée, nue, et alors que le temps presse, notre héroïne tout-terrain retrouve très opportunément toutes ses fringues ; le tatouage de dragon qu'elle porte sur le dos a rétréci par rapport à la version de 2011 ; et le studio a même fini par couper une scène de nu pourtant dérisoire que l'on pouvoir apercevoir dans la bande-annonce... Vous avez dit bigots ? Ah, on a failli oublier : il y a bien cette valise remplie de godemichés, dans la scène de l'aéroport. Vous la sentez, la grosse subversion ?


We need to talk about Lisbeth


En fait, la Lisbeth de TGSW est limite asexuée. On ne la voit coucher avec personne : ni son amante du début (le public gay appréciera), ni l'émasculé Blomkvist, ni personne d’autre. Et le plus triste dans tout ça, c’est qu’en même temps, ça se tient : Claire Foy y a une tronche d'activiste lesbienne tout juste sortie d’une manif anti-Trump qui l’a durablement échaudée. Profitons-en pour aborder le sujet Lisbeth. Et revenir sur les précédentes. Est abordé plus haut la divine surprise qu’a été l’adaptation de Fincher et sa Lisbeth jouée par Rooney Mara. L’auteur de cette critique forcément personnelle va en faire une affaire encore PLUS personnelle en abordant le sujet à la première personne tant il est, lui aussi, par nature subversif : préférer la Lisbeth de Rooney était bien la DERNIÈRE chose à laquelle je m'attendais, quand j’ai entamé le visionnage de TGDT, car je connaissais déjà le film suédois, et avais donc déjà eu l'occasion d'apprécier la performance intense de Noomi Rapace, qui parvenait à être tour à tour glaciale comme la justice et fiévreusement humaine... mais que voulez-vous ? Voilà quel a été mon ressenti, en ce début 2012. En laissant mûrir ma réflexion, j’ai compris que ce n'était pas seulement une histoire d'appréciation esthétique. Bien sûr, le fait que Rooney a été encore mieux gâtée par la nature que Noomi avait joué un rôle indéniable dans mon appréciation, disons, esthétique du personnage... mais c'est aussi une question d’efficacité dramatique. Noomi Rapace, toute belle femme qu'elle soit, est un peu l'anti-hamster. Elle a clairement l'air d'une nana avec qui il ne faut pas déconner. La première fois que je l'ai vue, je me suis dit qu'elle avait une morphologie et un gabarit d'actrice de film d'action crédible, pour changer (dommage qu’elle n’ait pas transformé l’essai dans ce domaine, par la suite, vu ses choix de carrière douteux, cf. Dead Man Down, Conspiracy, ou Bright…). Alors que Rooney Mara, elle, c'est la poupée de porcelaine de Todd Haynes. Un petit animal, comme dirait Gainsbourg. En la voyant dans TGDT, on est bieeen moins sûr qu'elle va s'en sortir sans casse, tant sa Lisbeth parait bien fragile derrière son attitude punk, et cela rend l’action d’autant plus intense lorsqu'elle est menacée, et ses triomphes d’autant plus réjouissants, crédibles car Lisbeth remporte la partie grâce à son intelligence pratique et non sa force physique (inexistante). Bref, pour moi, le combo Lisbeth/Rooney faisait une héroïne de saga parfaite. Et, cerise sur le gâteau, les lecteurs des romans de Stieg Larsson rejoindront majoritairement cet avis, la Lisbeth originale n’étant selon eux pas aussi physique que Noomi… parenthèse à la première personne fermée.


Du coup, en étant honnête, même si TGSW avait été réussi, le combo Lisbeth/Claire Foy aurait eu le plus grand mal à faire oublier ses prédécesseurs. Au moins, ça tombe bien : il ne boxe pas dans la même catégorie qu'eux, tout comme le film d'Alvarez n'atteint pas la cheville de ceux de Fincher et Oplev. Foy, dont on a eu l’occasion d’apprécier le talent à deux reprises en 2018, dans Paranoïa et First Man, a tout cette fois-ci d’un « miscast ». Noomi a rempli le créneau « femelle alpha » avec sa Lisbeth taillée au rasoir ; Rooney a rempli le créneau « petit animal » avec la sienne ; que restait-il à Foy ? Pas grand-chose, sinon une Lisbeth... normale. Normalisée. Sentiment que renforce la différence d'âge de l’actrice avec les deux autres (ayant trente-trois ans au moment du tournage, alors que Mara en avait vingt-quatre !). Avec sa coupe au bol qui lui donne un air de Playmobil pour métalleux, son faux accent scandinave encore moins convaincant que celui de Rooney (mais peut-être n’est-il pas plus mauvais, simplement plombé par le reste de sa performance), et sa tendance à en faire des tonnes dans la darkitude pour faire vivre un personnage mal écrit, qui ne lui donne ni le caractère primal de Lisbeth/Noomi, ni l’imprévisibilité de Lisbeth/Rooney, Foy n’avait aucune chance de s’en sortir. Un comble, pour la si charismatique interprète d’Elizabeth II…


The Girl who Dies Another Day and Lives Fast and Furious like a Justice League Avenger (TGDADLFFJLA)


Le vrai problème est dans le scénario. Le ver commercial étant dans le fruit, l’écriture est la première chose qu’il devait contaminer. TGSW ne partait donc pas sous les meilleurs auspices au moment de son écriture, d’abord parce que ses scénaristes sont certes le talentueux Steven Knight, à qui l’on doit Les Promesses de l’Ombre, Locke, ou Le Prodige, mais aussi Jay Basu, à qui l’on doit… Monsters : Dark Continent et le prochain Charlie’s Angels (sic), et Alvarez, dont la force des deux longs susmentionnés était avant tout visuelle ; ensuite parce qu’il se base sur LE roman Millénium qui n’est PAS écrit par Stieg Larsson, et qui est loin d'avoir convaincu à la fois critiques littéraires et fans de la trilogie originale. Ergo, quasiment rien ne marche, dans TGSW. Avec son intrigue grand-guignolesque qui troque les tueurs en série misogynes pour des terroristes nucléaires (‘dafuq ?) et frôle l’overdose de scènes de hacking ésotériques, il ressemble davantage à un sous-James Bond ou un sous-Mission : Impossible concentré sur un personnage féminin qui aurait négligé James ou Ethan pour un régime herbivore, et basé sur un roman dont l'auteur a vu Code Mercury, avec Bruce Willis (qui parle également d'un petit génie de l’informatique cible de méchants tueurs d'agences louches), et s'est dit qu’il devait ABSOLUMENT s’inspirer de ce film génial (sauf qu’il ne l’est pas). Autant dire que c’est complètement inadapté à l’esprit Millénium, et que ça fait tâche dès le début.


Complètement inadapté à l’esprit, et donc à Lisbeth. Nous avons évoqué l’échec de Claire Foy. Comment pouvait-elle lutter, en écopant d'une Lisbeth transformée en sorte de Catwoman LGBT justicière/super-héroïne tendance #metoo, cf. cette première scène où elle « venge » une femme battue (mais sans non plus faire trop de bobo au mari violent, parce qu’on a dit mainstream) ? Catwoman bis, exactement. Catwoman bis écumant un Gotham city déménagé au pays des fjords (ok, c’est la Norvège, mais on s’en fout, et puis ça doit bien déborder un peu). Catwoman bis des fjords, d'abord avec le maquillage et l'accoutrement qu'elle porte dans la scène d'introduction précitée, qui la font ressembler à un collégien acnéique dans son déguisement d'Halloween que personne ne veut photographier, ensuite avec ce moment ubuesque où elle s'échappe à moto de son immeuble ravagé (sorte de catmobile sortant de sa catcave, si vous voulez), avant de lancer héroïquement l'engin sur un lac gelé dont la glace se brise sur son passage, comme dans tel volet de Fast & Furious ! Lisbeth en super-héroïne : glop ou pas glop ? Au début du film, on l’appelle au téléphone pour faire appel à ses services. La réplique : « On a un client qui exige l'impossible... intéressée ? ». Pas glop.


Une fois Lisbeth transformée en super-héroïne, tout ne tourne plus qu’autour d’elle. D’où le Michael Blomkvist émasculé : exit l’homme d’âge mûr, qui se tape certes Lisbeth, mais ne deviendra jamais son BFF ; place à un Blomkvist aussi jeune qu’elle (parce que ça passe mieux auprès du public ?), interprété par un minet au charisme de sandwich Subway, et réduit au rang de support technique, parfois même de « damsel-in-distress », comme on dit chez les anglophones. Quand on réalise que dans TGSW, lui et Lisbeth se connaissent déjà, le film partant sans doute du principe que le public a déjà assisté à la formation de leur amitié (ce qui ne cadre pas très bien avec l’idée d’un reboot, mais bon…), c’est la catastrophe : comment cela pouvait-il marcher, avec deux acteurs différents, et dans un film à l’esprit si différent ? Au lieu de ça, ben, on s’en contrefout. Tout ce qui faisait la complexité taquine de leur relation a disparu. Les scénaristes tentent vainement de donner à Blomkvist une existence propre, notamment via ses scènes avec sa compagne journaliste (Vicky Krieps, de Phantom Thread, ici un peu inutile), mais comme tout dans leur scénario est fait à moitié, non, au quart, ça ne ressemble à rien, et là aussi, on s'en contrefout.


Tout ne tournant plus qu’autour de Lisbeth, Hollywood se fait un de ses plans préférés : le plan « origines », où l'on prend bien soin d'expliquer le background d’un personnage qui tirait pourtant une bonne partie de son charme du mystère qui l'entourait, tout en s’assurant que ledit background soit un peu tordu, histoire de faire caqueter la toile. Les vilains terroristes auraient pu n’avoir aucun lien avec l’héroïne. Après tout, elle fouine, elle enquête, comme Blomkvist. Pas besoin de fouiller dans son passé pour trouver des trucs à faire foirer. Sauf que non : place à… Camilla Salander. La sœur jumelle maléfique marquée à vie par une enfance de supplices qui aurait tout aussi bien pu être celle de l'héroïne. Oui-oui, vous avez bien lu. On aurait préféré que ce soit une invention du gros naze qui a écrit le quatrième roman, mais Stieg Larsson en est le géniteur, puisqu’elle a été évoquée dans le deuxième roman. Ceci étant, n’a-t-il pas été précisé, précédemment, que Lisbeth a essayé de brûler vif leur père pour avoir touché à leur MÈRE, et non à elle ou sa sœur ? Larsson avait peut-être en tête quelque chose de plus subtil. Rien ne dit qu'il en aurait fait une antagoniste aussi cartoonesque (si c’est au contraire le cas, merci de le préciser dans un commentaire !). Dans tous les cas, en l’état, elle est un cliché ambulant que ne sait sauver la beauté anorexique Sylvia Hoeks, avec son manteau rouge vif (pour montrer combien elle est sadique, et parce que le noir était déjà pris par sa sœur…) et les molosses de son espèce de secte supposée filer les chocottes au Diable même sauf qu'on n'en voit pas grand chose au final. Rouage poussif d’une piètre tentative de création d’une mythologie autour de Lisbeth Salander, et donc piètre antagoniste, ce qui ne le fait pas vraiment, dans un thriller. Ok, ne soyons pas injustes : à l’image, Camilla a une certaine gueule, comme le film. Mais ses pieds sont d’argile.


Une superhéroïne politiquement correcte en dépit des apparences, des seconds couteaux sans personnalité, une méchante qui aboie plus qu’elle ne mord : on n’est pas loin d’un mauvais Marvel. Ou plutôt d’un mauvais DC.


Un spectacle même pas convainquant en divertissement hollywoodien générique, partie 1/2


Vaine comme son générique d’introduction, qui lorgne bien lourdement du côté de celui, sublime, de TGDT, sans jamais lui arriver à la cheville, ni même se trouver une identité propre...


Pour finir sur le fond. Ce qui achève le bestiau, c’est que le reste de l'intrigue de TGSW est tout aussi faiblard. Ce n’est pas comme si les scénaristes avaient raté l’intégration de l’esprit et de l’héroïne de Millénium à un script par ailleurs réussi. Genre, « hey, prenons le scénario de Usual Suspect et transposons-le dans l'univers de Babe, c'est pas génial, comme idée ? ». Quand on dit que rien ne marche, rien ne marche. Les scénaristes et Fede Alvarez échouent à créer un univers sensible et un tissu organique de personnages étoffés aux interactions naturelles (excusez la phrase un chouïa ronflante). On a déjà souligné combien les personnages secondaires sont médiocres. Que ce soit l’appui technique de Lisbeth, Plague, interprété par un acteur qui ressemble à mille autres personnages de hackeurs gras et négligés, le Renoi amerloque de la NSA Ed Needham, dont le rôle dans l’échiquier est au mieux bancal, et dont on ne croit pas un instant à l’accumulation des qualités de super-hackeur ET de sniper d’élite, ou encore Blomkvist, déjà suffisamment évoqué, aucun ne séduit ni ne convainc, et l’assemblage des trois n’aboutit à aucune sorte d’« équipe » qui a pourtant quelques (molles) occasions de se former. On ne s'attache à rien, ni à eux, ni au non-couple Lisbeth/Blomkvist, ni l’on ne vibre aux retrouvailles entre elle et sa sœur jumelle maléfique, car aucune intimité n'a le temps de se créer dans ce thriller avant tout conçu pour plaire au max de monde. TGSW ne propose pas l’étude de personnage (expression à laquelle on préférera sa traduction anglaise, « character study », au sens plus large) que proposaient les autres films, à l’image des romans, tout simplement parce qu'il n'a pas compris grand chose à leur esprit.


Toute l’intrigue est cousue de fil blanc, et bourrée de facilités au point d’impressionner, par moments. Florilège (facultatif si vous manquez de temps) :
- après l'explosion de son appartement, bien, BIEN visible à un kilomètre, Lisbeth retrouve intact l'ordinateur sur lequel est stocké l'enregistrement de sa caméra de surveillance ;
- cet enregistrement montre les deux terroristes qui l'ont attaquée, et qui portent tous deux des masques... mais pas de panique ! Un d'eux porte sur le bras un tatouage bien mis en évidence... ;
- plus tard, le gars de la NSA retrouve au fond des toilettes d'une obscure boite de nuit la nana qu'on a découverte dans le lit de Lisbeth un peu plus tôt, et qui lui confie un téléphone portable de la part de Lisbeth... ce qui se tient, mais avait quand même besoin d’un sacré alignement d'astres pour fonctionner aussi fluidement ;
- quand le scénario a besoin de nous rappeler le lien entre Lisbeth et sa sœur, l'héroïne tombe très opportunément sur une photo d'elles deux, traînant par terre, comme par hasard ;
- quand le gars de la NSA passe par son appartement calciné, il trouve, traînant par terre là aussi, un morceau de journal... avec sa tête dessus, le sol étant décidément le meilleur allié de nos protagonistes ;
- quand Lisbeth se retrouve paralysée dans la salle de bain de Balder, un des rares moments du film où l'on est un tant soi peu captivé par l'action, elle parvient, via sa main à peine valide, à mettre la main sur une trousse à pharmacie située à trente centimètres de là et contenant, comme par hasard, les médicaments nécessaires à son, euh, désengourdissement (?) ;
- quand les méchants roulent en voiture et que Lisbeth doit les rattraper, ce n'est pas trop dur, parce qu'ils roulent aussi vite que ma grand-mère ;
- autre terrain, le piratage informatique : en soi, pas de problème, Lisbeth est une hackeuse de génie à la base, donc roulez jeunesse... sauf que TGSW fait dans le grand-guignol, la transformant en sorcière-ninja du magic hacking, lui faisant faire des trucs complètement surnaturels, fifille manipulant les bases de données de la CIA, du FSB et du MI-6 combinés et cambriolant la NSA au nez et à la barbe des Américains comme si elle jouait à la Playstation, ou encore contrôlant la sécurité d’un aéroport entier pour aider à une évasion dans un pastiche involontaire de l’inoubliable scène de la station de Waterloo dans le troisième volet de la saga Bourne (en gros, Watch Dogs, le film). Le pire est que le film n'est même pas cohérent dans ce n'importe quoi : être une sorcière-ninja du magic hacking n'empêche curieusement pas Lisbeth de se faire griller son adresse IP comme une bleue, ni un ou deux autres plans du même acabit...


Vous l'avez compris : tout, dans l'intrigue de ce film, est rendu bieeeeeeeeeen trop facile soit par un hasard supérieurement pratique, soit par la puissance cosmique du magic hacking. Ainsi que par l’incohérence. Quand les méchants finissent par mettre la main sur Blomkvist et le gamin, plutôt que de descendre le premier, ils l'assomment avec une tarte. Pourquoi ? Parce que. Quand le Renoi de la NSA snipe tout ce qui bouge, il touche tout le monde, sauf la vilaine sœur jumelle. Pourquoi ? Parce que. La NSA a perdu un programme qui peut déclencher une guerre nucléaire, et qui elle envoie ? Un gars. Etc. L’intrigue de TGSW a deux faces : celle de la mythologie salanderienne, qui confronte Lisbeth à son passé, et celle james-bondienne de la menace nucléaire, et pas de bol : les deux sont foirées.


Considérant la médiocrité du scénario, il était surréaliste d'attendre quoi que ce soit de séduisant du côté du gamin génie de l'informatique. La scène où il rapporte les propos de son père sur le passé, qu'il comparait à un « trou noir », et ajoute, l'air grave, « je ne veux pas disparaître », est un grand moment de ridicule.


Un spectacle même pas convainquant en divertissement hollywoodien générique, partie 2/2


Alors, de cet assemblement sans ambition d'éléments sans saveur, Fede Avarez tire ce qu'il peut. C’est son premier gros film. Tout le monde aurait compris qu'il se plante, car on sait le nombre de jeunes et talentueux réalisateurs s'étant cassé les dents sur l’exercice hautement périlleux de la première commande hollywoodienne. Mais il ne faut jamais TROP merder non plus.


Résultat, il faut reconnaître que, un peu comme sa vilaine méchante tout de rouge vêtue, son film a une certaine gueule. La scène de baston dans la salle de bain de Balder avec Claes Bang (The Square), dont la coupe peroxydée rappelle celle du méchant Sud-Africain de L'Arme Fatale 2, est courte mais très efficace, gérant admirablement la tâche périlleuse de faire survivre un personnage féminin poids plume à un corps-à-corps mixte sans que ça ait l’air complètement surréaliste (si Tony Scott y est arrivé avec Alabama dans True Romance, tout est possible !). La scène du carton au fusil de sniper est complètement outrancière, mais au moins très ludique. La scène assez épatante des masques à gaz, où interagissent un bon nombre de personnages dans un espace exigu (en gros, Lisbeth contre une poignée de molosses), rappelle que c'est quand même le réalisateur de Don’t Breathe qui se trouve aux commandes ; chose qui s’était déjà produite plus tôt dans le film, dans cette scène bien dégueu où un tatoueur montre à l'héroïne son VRAI visage sous sa prothèse faciale. Même la scène du piratage de la NSA, certes ridicule dans le fond, est portée sur le moment par une vraie tension qui donne au spectateur l’impression que quelque chose de cool est en train de se passer – alors qu’en fait, voilà, quoi. L’espèce de chrysalide en latex susmentionnée est elle aussi outrancière, mais elle aussi a de la gueule.


De la gueule… que de la gueule. Et pas assez, malgré tout. Sans que ce soit de la faute d'Alvarez – enfin, pas entièrement. Le scénario ne lui donnera pas assez d’occasions de briller dans le spectaculaire, ni même, en fait, l’occasion de trousser une VRAIE, MÉMORABLE scène d’action qui aurait permis aux spectateurs bon public de dire : « ok, c’est surtout un film de boum-boum, mais c’est du BON boum-boum, non ? ». Au bout du compte, TGSW est un bel objet, mais sans personnalité ni énergie vitale, orchestré par un cinéaste talentueux, mais pas assez fort pour transformer l’eau en vin. « Orchestré » ? CO-orchestré, tout au plus. Et il n’aura même pas été foutu de faire quelque chose de visuellement intéressant avec le motif de l’araignée ! Encore une fois, les miracles, c'est rare par essence.


J'étais à un doigt de publier la présente critique quand je me suis rappelé n'avoir rien écrit sur la musique du film. Ça m'a beaucoup surpris, de prime abord, car j'accorde généralement beaucoup d'importance à cet élément d'un film. Mais justement, sans vouloir me donner trop d'importance, tout est dit, dans cet oubli : le SEUL souvenir musical que me laisse TGSW, c'est le morceau d'une mièvrerie insignifiante qui accompagne un moment où Lisbeth se rappelle sa sœur étant enfant. Un souvenir d'enfance censée toucher ? Hop, un petite musique au piano censée toucher itou, aussi simple que ça... et surtout aussi lourdingue que ça. La B.O. a été composée par un habitué de Fede Alvarez, Roque Baños. Le type a donc également fait la musique d'Evil Dead et de Don't Breathe. Rien de mémorable, malgré la qualité de ces films. S'accompagner d'un compositeur attitré manquant de personnalité peut être un frein à l'épanouissement d'un cinéaste. À voir, par la suite.


Conclusion


En résumé, donc, ce Millénium hollywoodien cru 2018 est un échec. Certains défendront son efficacité, son action musclée, et son rythme soutenu (ce qui est vrai, dans ce cas précis), comme ils défendraient un épisode de 24 heures chrono, mais c'est surtout un regrettable gaspillage d'énergies, symptomatique d'un Hollywood à bout de souffle. La scène [spoiler alert !] où la voiture de la méchante percute par pur manque de bol son pauvre bras droit (encore Claes Bang, dont on se demande quand même bien ce qu'il fout là) est assez représentative du film : c’est bien filmé… graphiquement travaillé… punchy… plutôt réaliste, même... mais c'est aussi complètement débile. Arrête le débile, Hollywood, ton public ne l’est pas à ce point-là. Tenez, autre exemple parlant : à la fin du film, Blomkvist, qui écrivait un article sur ce qu'il avait vécu au côté de Lisbeth, décide finalement de ne rien publier, et efface tout ce qu'il a tapé. Personne d'autre n'aurait aimé que les scénaristes fassent la même chose avec The Girl in the Spider's Web ?


Note : la Lisbeth Salander de ce film n'est pas le premier personnage de cinéma à sauter dans une baignoire pour survivre à une explosion. Ça, c'est garanti. Maintenant, si quelqu'un se rappelait le titre de cet AUTRE film dans lequel se produit un truc semblable, les dieux lui seraient reconnaissants.

ScaarAlexander
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le 19 nov. 2018

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Scaar_Alexander

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