Duplicity lights
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le 17 mars 2016
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Après avoir relancé la carrière de Matthew McConaughey dans Mud, et livré un époustouflant thriller avec Take Shelter, Jeff Nichols s’attaque au film de genre, en plaçant au centre de Midnight Special un jeune garçon (interprété par Jaeden Lieberher) doté de pouvoirs extraordinaires. Un film fantastique donc, de science-fiction même, puisqu’il s’agit pour le garçon de retrouver de mystérieux inconnus à un endroit et moment donnés, pour ce qu’on pressent comme une rencontre du troisième type.
Le film prend la forme d’un road-movie nocturne, et apparait avant toute chose comme un thriller à l’ambiance léchée. La maladie supposée du garçon oblige les personnages à évoluer aux dernières lueurs du jour, offrant des plans à la photographie remarquable (grâce à l’utilisation de la pellicule, notamment), teintée par les lumières naturelles d’une dose de mélancolie et de mystère mêlés. La bande-son entêtante, basée sur un synthétiseur aux accents lyriques, enrichit cette atmosphère étouffante, à mi-chemin entre Carpenter et Spielberg.
Dans sa course contre la montre, Nichols joue la carte du minimalisme scénaristique : aucune explication, ou presque, sur la nature des pouvoirs, sur leurs propriétés. Cette rétention d’information rend Midnight Special nerveux, suspendu au bon vouloir du garçon et à ce qu’il veut bien raconter. On pourra facilement s’agacer de voir aussi peu traitée la dimension fantastique du scénario, surtout quand elle semble constituer un simple deus ex machina : l’intrigue n’avance que parce que le père suit les instructions du fils, et des actes complètement irréalistes (comme le forçage d’un barrage routier à grande vitesse) sont justifiés par le fait qu’Alton « sait » que cela doit se passer comme ça. Omniscient, le petit énerve parce qu’il menace de faire tomber le film dans la facilité.
Pourtant, cette confiance aveugle du père envers le fils traduit l’essence même du film, qui prend un aspect fantastique mais ne raconte rien de plus que le sacrifice d’un père (et à une moindre mesure d’une mère) pour son fils. Thème qui hantait déjà Mud et surtout Take Shelter. Midnight Special offre à cet égard deux apothéoses : la première constitue le climax SF du film, bardé d’effets spéciaux plus ou moins ridicules. Elle est attendue, puisque toute la quête des personnages tend vers elle (ce qui oblige d’ailleurs Nichols à cette surenchère visuelle regrettable). Mais la deuxième, véritable twist sur le tout dernier plan, change radicalement le visage du film en rapprochant explicitement père et fils.
Nichols creuse ainsi les deux thèmes qui parcourent sa filmographie : la paternité et la croyance. La science-fiction ne sert ici qu’à faire d’Alton une sorte d’enfant-messie, abusé par les habitants d’une secte formée autour de lui (en témoigne la scène, filmée comme un viol, où un homme semble profiter du garçon en forçant l’apparition de ses pouvoirs). Face à cette odieuse foi, et face aux velléités guerrières de l’armée qui les chasse pour faire d’Alton une arme, il y a bien une croyance « pure », celle de l’ami accompagnant la famille jusqu’à la fin ; celle du père, surtout, poussant son fils jusqu’à sa réalisation en tant qu’adulte, ou accompagnant son enfant malade jusqu’à la mort (« un autre monde » explique Alton, ce qui laisse place à l’interprétation). Plus qu’un film fantastique parfois gêné par les délires visuels inhérents au genre, Midnight Special est bien une variation émouvante et classieuse sur le thème de la filiation et de la foi.
Créée
le 21 mars 2016
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