Il regardait le soleil droit dans les yeux et ça ne lui faisait pas peur.
On lui avait dit que c'était dangereux, qu'il allait devenir aveugle. Les grands et leurs lois ne l'impressionnaient pas. Eux, ils savent toujours tout sur tout et, pourtant, ils sont incapables de t'expliquer pourquoi le ciel est bleu, où s'en vont mourir les oiseaux et qui est ce peintre incroyable qui a réussi à dessiner ces montagnes, celles-là même qui caressent le regard aussi loin que tu le plantes.


C'était pas cette étoile qui allait lui faire baisser les yeux. Elle était loin et sa morsure semblait irréelle.
Il était haut comme trois pommes et l'astre déposé au zénith était à la fois son meilleur ami et son pire ennemi. C'était lui qui annonçait l'heure du début de la bataille, les cheveux aux quatre vents et les mains ouverts, prêtes à attraper tout ce qui dépasse.


Si seulement les jours étaient plus longs! Car lorsque le soleil allait se cacher, il mettait fin aux hostilités. Et il fallait rentrer et remettre le costume étriqué du minuscule. Alors qu'il était un géant.
Baisser les yeux, dire oui, prendre le pli. Attendre qu'il n'y ai plus de bruit dans la maison et faire son lit sur le balcon, en cachette. Au plus près des étoiles d'argent. Se lover dans un bout de couverture et attendre qu'il revienne. Être le premier à l'accueillir, l'engueuler d'emblée, la mèche rebelle et la lippe tremblante, de s'être enfui alors qu'on avait encore des tas de choses à faire, lui pardonner avec le coeur, le regard fier et le sourire dans le coin, comme on pardonne à l'ami de n'être finalement qu'un homme.
À tenir comme ça, ses yeux plantés dans les siens, le plus souvent, les larmes s'accumulaient et ça faisait comme une loupe, une sorte de pansement pour que le record soit battu. Et il tenait car il avait ce don.


Dès lors qu'un nuage passait devant la boule de feu, comme un voile de soie sur une braise incandescente, il considérait qu'il avait cligné, que c'était comme un aveu de faiblesse de ce pauvre soleil, une victoire chèrement gagnée, à la sueur de ses larmes. Mais une victoire quand même.
Ensuite, il voyait flou. Des pastilles fluorescentes dansaient devant les paysages qu'il connaissait pas chœur. Il regardaient ses mains et elles scintillaient aussi. Il pensait que c'était des fées, encore plus petites qu'il était minuscule, que ce lien interdit par les adultes avec le dieu-soleil lui permettait de voir ce qui était invisible aux yeux des autres. Ils avaient oublié, ou ça leur faisait peur. C'était pourtant un pays merveilleux où leurs lois n'existaient pas. Les fées n'intéressaient personne, elles n'avaient pas d'attaches et elles s'envolaient vu qu'il n'y avait aucun mur pour les retenir. Il imaginait qu'elles s'en allaient retrouver, portées par les vents chauds, les rêves et leurs rancœurs amères...


C'est le rêve que j'ai fait après avoir revu Midnight Special.
Plusieurs mois déjà que j'avais cet arrière-goût en bouche, ces relents de reviens-y sans parvenir à mettre des mots dessus.
J'avais trouvé ce road-movie mélancolique, ourlé de mystère et d’inquiétude, anti-spectaculaire au possible. On pouvait donc raconter une histoire comme celle-là sans verser dans la facilité, la construire sur des vestiges (d'une famille, d'une foi, d'une société...) en économisant les mots, avec des regards ou une étreinte qui en disent long.
J'avais été happé par ce père dépassé mais prêt à tout pour « élever » ce fils, cet enfant-lumière, quitte à en être orphelin.


Une révélation.
Un film sur ces enfants qui seront toujours des étrangers, partout.
Ces mômes qui prennent le pli, se font une raison parce qu'ils n'ont pas d'autre choix, parce qu'ils n'ont pas les mots, pas les cartes, pas de père assez fou d'amour pour les prendre dans leurs bras et avoir foi en eux.


L'étreinte d'un père qu'aurait foi en toi.


La bise.

DjeeVanCleef
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le 12 févr. 2017

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DjeeVanCleef

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