Nanni Moretti, réalisateur, emboîte ici le pas à son double féminin, Margherita Buy en réalisatrice de cinéma, pour se réserver, en tant qu'acteur, le rôle du frère de cette femme hyperactive et directive, frère qui vient lui-même d'abandonner son métier pour se consacrer à l'accompagnement de leur mère malade et hospitalisée. La situation aurait tout pour être bouleversante, peut-être même prétend-elle l'être - pour faire bonne mesure, Margherita quitte son compagnon -, mais l'émoi ne vient pas, la gorge ne se serre pas...
Pourquoi ? La mère malade et déclinante semble-t-elle encore trop en santé, mamma italienne encore trop abondante et protectrice, grimaçant de manière peu crédible lorsqu'elle s'emploie à pleurer ? L'héroïne apparaît-elle comme trop survoltée, souriant trop, et du coup peu émouvante lorsque sa force est censée éclater en larmes ?... On a connu Moretti plus habile à éveiller la sensibilité de son spectateur.
Un aveu de vulnérabilité, voire de détresse aussi réelle que discrète, parvient tout de même à se dire et à nous toucher, mais de façon décentrée : il s'opère dans le camp masculin, celui qui n'est pas le plus directement placé sous les feux des projecteurs, et concerne en premier lieu le frère, son dévouement absolu transparaissant dans sa présence constante à l'hôpital, sa conscience de la disparition qui est en train de se jouer et son indifférence à ce qui pourra advenir ensuite de lui-même, professionnellement. Le film réserve ensuite une belle surprise, sous la forme de l'évolution particulièrement subtile du personnage d'acteur américain incarné de façon excellemment urticante, mais malheureusement assez caricaturale, par l'inimitable John Turturro. A la faveur d'un dîner, la coque de plastique yankee se fend soudain pour révéler le mal qui mine l'acteur : sa non-reconnaissance des visages et ses failles mnésiques, qui excusent pathétiquement son manque de maîtrise des répliques, manque qui apparaissait jusqu'alors comme une insupportable désinvolture de star...
Deux rôles masculins qui se manifestent ainsi comme incroyablement apaisants, puisqu'ils nous permettent de retrouver dans cette œuvre filmique une forme de sincérité, de vérité... Il n'empêche que, sur le même thème, le film du Polonais Bartosz Konopka, Fear of falling (2012), passé totalement inaperçu, sonnait infiniment plus juste...