Metropolis
8.1
Metropolis

Film de Fritz Lang (1927)

Mittler zwischen Hirn und Händen muss das Herz sein !

En 1927, un film allemand muet réalisé par Fritz Lang (1890-1976) sort au cinéma. Il s’agit de Metropolis, un drame dystopique science-fictionnel qui, malgré un échec commercial conséquent au moment de sa sortie (notamment au vu des frais considérables qu’ont engendré sa réalisation et sa production par les studios UFA), traverse positivement les décennies suivantes en s’imposant comme un chef-d’œuvre cinématographique aux multiples influences et à la modernité déconcertante. La version originale dure 153 minutes ; la version restaurée (dont il est question ici) n’en dure plus que 148. Elle date de 2010 et est le fruit de la découverte de la version originale du film à Buenos Aires deux ans auparavant. 


Adapté du roman éponyme de la romancière allemande Thea von Harbou (1888-1954), ce long-métrage décrit un futur plus ou moins proche - 2026, soit cent ans après la période de la réalisation du film. Metropolis : ce terme à la consonance énigmatique est en réalité le nom de la ville dans laquelle se situent les faits. Dirigée par Joh Fredersen, Metropolis est scindée entre une « ville haute », dans laquelle vivent et s’épanouissent les classes supérieures de la société, et une « ville basse » rassemblant un ensemble complexe de machines ainsi que les couches inférieures de la population dont le quotidien consiste majoritairement à faire fonctionner lesdites machines, ce afin de garantir la prospérité et le bon développement de la métropole. Outre diverses péripéties, nous assistons en particulier à la naissance et aux embûches de la relation amoureuse entre le principal protagoniste, Freder - le fils de Fredersen, et Maria, une jeune femme issue de la classe ouvrière. 


Fritz Lang emploie différents moyens techniques pour représenter et transmettre de manière visuelle et sonore l’atmosphère pesante qu’il imagine. Les décors choisis sont très symboliques. La ville haute est par exemple composée de différents lieux aérés et harmonieux, propices à l’entretien physique et intellectuel de ceux que les sciences sociales qualifieraient d’élites. Le film s’ouvre notamment sur un grand stade bordé de hautes statues rappelant les stades antiques et sur les pistes duquel s’entraînent à l’athlétisme les jeunes hommes « bien nés ». Viennent ensuite d’autres espaces comme le grand jardin dans lequel se détendent ces mêmes garçons - ce jardin rappelant sensiblement le jardin d’Eden et étant ainsi la première référence d’une longue liste d’allusions bibliques tout au long du film (citons par exemple la Tour de Babel). La vue aérienne  de la ville avec les ponts et les dizaines de voitures ainsi que les scènes dans ses sous-sols (machines, dédales de couloirs, etc.) sont également des décors marquants et marqueurs d’un véritable travail technique. 


Certaines scènes sont étonnantes d’expressionnisme, ce qui est d’autant plus intéressant lorsque l’on sait que « Lang s’est toujours défendu d’avoir été expressionniste » (Francis Courtade) - notamment par refus d’être catégorisé. De multiples scènes pourraient ici être citées mais deux d’entre elles sont particulièrement caractéristiques en raison du jeu des acteurs et des techniques de tournage qu’elles présentent et qui servent cet expressionnisme. La première est la rencontre entre Freder et Maria : Gustav Fröhlich (Freder) incarne ici le héros romantique par excellence (attitude qui le suit tout au long du film), l’amoureux transi, surjouant et exagérant cet instant de la rencontre et de la naissance des sentiments. La seconde est la course-poursuite entre Maria et Rotwang (l’archétype du « savant fou » ; notons ici les nombreux stéréotypes incarnés par les personnages principaux) ; les jeux d’ombres et de lumières utilisés dans cette scène montrent une réelle recherche technique et les expressions faciales ainsi que la gestuelle de Brigitte Helm (Maria) sont amplifiées à l’extrême, rappelant un robot dysfonctionnel et, par extension, le destin proche des machines de la ville basse. 


Malgré l’absence de dialogues oraux, Lang accomplit la prouesse de rendre limpide l’entièreté des interactions verbales entre ses personnages. Des métaphores continuelles s’attachent à représenter les multiples travers qu’il dénonce avec véhémence : un système injuste conduisant inévitablement à une lutte entre les différentes classes sociales, la recherche du profit, les dérives de l’industrialisation, la dépersonnalisation des individus et, par-dessus tout - semble-t-il, la bêtise des foules : autant de condamnations qui mettent en évidence la morale finale du film, "Mittler zwischen Hirn und Händen muss das Herz sein !" (« Le cœur doit être le médiateur entre le cerveau et les mains »). En somme, une dystopie qui n’a pas pris une ride et dont l’échéance (2026) se rapproche..

aldaclh
8
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le 18 oct. 2022

Critique lue 22 fois

aldaclh

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