Écran noir. Bruit des journaux posés, de téléphones portables coupés, de pop-corn mâchouillés, de derrières se calant sur les sièges, de râclements de gorge.

Image. Musique. Distributeur, sociétés de production. À nouveau un écran noir.
Puis un message, une simple phrase nous annoncant que le film est affaire de point de vue, qu'il n'est pas LA vérité sur Jacques Mesrine, mais qu'il s'en inspire autant que possible.

Premiers plans.
Sylvia (Ludivine Sagnier) promène son toutou. Multiples split screen ou plutôt multi-images d'une même scène mais tournée de diverses façons : la phrase du début prend tout son sens, car nous n'avons pas affaire à un multi-angles de la même scène, mais une idée de ce qui aurait pu se passer, tel qu'on pourrait se l'imaginer. Jacques Mesrine (Vincent Cassel) se passait-il la main dans les cheveux lorsqu'il attendait le signal de Sylvia ? Était-il proche d'elle lorsqu'il la suivait ? Le montage donne dès lors un écho à ce fameux avertissement en dévoilant diverses possibilités, insistant sur l'idée qu'au-delà du simple biopic, il y a une part de suppositions, d'incertitude. Magnifique mise en abîme. La séquence en devient passionnante.

Jean-François Richet nous revient trois ans après son remake du classique Assaut (1976) de John Carpenter, lui-même inspiré de Rio Bravo (1959) d'Howard Hawks. Cette entrée en matière des plus virtuoses et des plus brutales démontre que Richet a beaucoup appris avec Assaut sur le central 13, et la suite du long métrage ne me fera pas démentir.
Très efficace, soignée, évitant toute esbroufe visuelle, sa mise en scène bien que dénuée de toute virtuosité dépeint autant l'homme que le monstre, sans complaisance.

Hélas, l'objectif reste concentré sur Mesrine, sur lui et rien d'autre. Minceur du scénario ou choix délibéré, plusieurs axes intéressants de l'époque et de ceux entourant Mesrine sont à peine effleurés. La piste politique n'est pas creusée (particulièrement en ce qui concerne l'OAS), les ennemis du gangster originaire de Clichy ne sont pas ou peu montrés (et la police alors, que faisait-elle ?). Quant aux seconds rôles, de Gérard Depardieu (pourtant vibrant de justesse dans le costume de Guido) à Gilles Lellouche (Paul) en passant par Cécile de France (Jeanne Schneider), ils ne tiennent pas la comparaison une seule seconde face à un Cassel possédé, retrouvé, et surtout dans ses cordes.

Cependant ce Mesrine : L'Instinct de mort n'en est pas moins dénué de qualités esthétiques et filmiques impressionnantes. Le Paris des années 60-70, même s'il n'est qu'une toile de fond, est autant immersif qu'il inquiète, et l'on imagine fort bien que la reconstitution du Canada d'antan respire la même fidélité.
Plus encore, de la même manière qu'Olivier Dahan l'avait fait avec La Môme, au delà de la légende et du mythe, Richet s'attache à filmer l'homme, et distille les scènes où le talon d'Achille de Mesrine indique déjà ce qui causera sa perte : son égo. Jamais dans un film de gangsters la tragédie du génie d'un être dévoré par son "moi" n'avait à ce point bouffé la pellicule et éclairé un long métrage de toute l'humanité d'un monstre. Ici, on ne cherche ni à glorifier ni à déprécier la légende Mesrine, mais seulement à comprendre l'homme et ses choix. Un exercice sur lequel un film comme Coluche, l'histoire d'un mec va se gameler, et qui témoigne de la grande difficulté à trouver le juste équilibre entre biopic et cinéma.

On pourrait reprocher à ce premier chapitre de n'être qu'une succession de séquences faisant l'apologie de la violence ou brossant dans le sens du poil "l'esprit banlieue" propre à Richet, mais pour qui connait l'histoire de Jacques Mesrine, on ne peut que constater qu'ici la forme épouse à merveille le fond.

"Dehors ou mort". Cette ultime phrase prononcée par Cassel ne nous donne plus qu'une envie : savoir comment le second élément permettra de stopper le fauve qui depuis longtemps a refusé d'être mis en cage.

En bref : Outre la brillante performance de Vincent Cassel, Mesrine : L'instinct de mort est d'autant plus passionant qu'il est frustrant. En étant l'un des meilleurs films de gangsters français de ces vingt dernières années, il nous amène à songer qu'il y a une suite et l'on devient obsédé dès lors par une seule pensée : vivement la suite !

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le 24 avr. 2014

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Kelemvor

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