Maurice est un grand film sur l’amour empêché, contraint de se cacher pour essayer de se dire à un amant tout aussi incapable de mettre en mots ce qu’il ressent et de l’accepter. Aussi le caractère ineffable de l’homosexualité est-il accentué par le milieu aristocratique investi, défini par des mœurs strictement codifiées et par un goût pour l’érudition sélective – on fait lire un auteur grec en veillant à censurer une phrase jugée impropre. James Ivory compose à son habitude une œuvre mimétique du microcosme abordé : en multipliant les scènes de repas ou de discussions mondaines, il nous fait vivre l’étouffement qu’endurent les personnages et décuple la portée des signes – un regard, une main tenue, un baiser donné à l’ami qui vient de tomber.


Le cinéaste prend soin d’inscrire le combat intérieur de son personnel dramatique dans un contexte marqué par l’homophobie : un jeune homme est arrêté pour conduite immorale et risque la prison et le fouet, son procès fait scandale dans les journaux, ses proches se détournent de lui… Est parfaitement retranscrit le processus de culpabilisation qui pousse des homosexuels à se définir eux-mêmes comme anormaux et « inqualifiables comme Oscar Wilde » ; ce qu’ils éprouvent s’apparente à une « malédiction » qui les éloigne de la norme et les condamne à l’ombre, tels des vampires en puissance. « Nous nous détruisons », affirme Maurice à son ami.


Le romanesque naît ainsi de la contrainte, en témoigne cette scène d’attente près du hangar plongé dans la nuit qui annonce des retrouvailles houleuses puis heureuses. Il permet également d’aborder des questions de tension entre les classes sociales, la relation entre Maurice et son garde-chasse opposant deux rapports au monde et au travail – puisque le premier se caractérise par son oisiveté. La clausule, tout aussi magnifique que la musique qui la porte (Richard Gibbs), raccorde Clive à sa sexualité profonde, cachée sous les fastes d’un mariage de convenance : alors qu’il verrouille toutes les fenêtres, l’image de Maurice transparaît à travers la vitre et le ramène des années en arrière, comme si rien n’avait changé, comme si rien n’avait pu le changer. Un grand film plein de retenue et d’audace, porté par une réalisation rigoureuse et d’excellents acteurs.

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le 27 oct. 2021

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