Une tache de vin sur le visage qui symbolise quoi ?

Xavier Dolan est sans doute le plus précoce, fécond et célèbre cinéaste au monde (acteur, producteur, scénariste, réalisateur, monteur, costumier...). Ses films et son homosexualité sont désormais planétairement connus et cette célébrité à double tranchant doit parfois être difficile à porter. Comme l'est sûrement cette tache de vin sur le visage dont il a affublé un des personnages éponymes de son dernier film. Et ce n'est certainement pas un hasard s'il s'est vu mieux que quiconque jouer ce rôle de personnage disgracié.


Le scénario raconte une histoire fictive, bien entendu, mais qui s'inspire assez directement, on peut le supposer, de la vie du réalisateur québécois, de son monde et cercle d'amis montréalais.
Il y a Maxime (Xavier Dolan, donc) et ses cinq potes : Rivette (Pier-Luc Funk), Frank (Samuel Gauthier), Brass (Antoine Pilon), Shariff (Adib Alkhalidey) et Matthias (Gabriel D'Almeida Freitas), son ami depuis la maternelle. Ces six-là forment "la clique". Et puis il y a leurs soeurs ou copines (de coeur ou de boulot). Ainsi que les mères des uns et des autres (+ la tantine de Maxime) très bavardes et observatrices de leurs grands fils, fille ou future belle-fille, bref très présentes, alors que les pères sont absents ou ont disparu. Des six potes formant la "clique", deux sont encore étudiants (Rivette et Shariff), seul Matthias est cadre d'entreprise, avec clairement un bel avenir devant lui. Quant à Maxime, il est serveur (un "boulot de merde", verbatim du film) et s'apprête à partir travailler deux ans en Australie (il veut prendre de la distance vis à vis de sa mère "irresponsable" depuis toujours, avec qui il a une relation hyper toxique) ; le père (avocat) de Matthias doit lui faire une lettre de recommandation pour ses futurs employeurs australiens et cette lettre, il l'attendra pendant une bonne partie du film... pour des raisons qu'il ne s'explique pas. Le compte à rebours des jours restants avant son départ pour Sydney chapitre (en incrustations dans l'image) les différents temps du film. Au quart de celui-ci, un incident, un "baiser de cinéma" entre Maxime et Matthias (pour les besoins d'un court métrage que tourne la soeur de Rivette) va, tandis que le départ de Maxime se rapproche inexorablement, troubler la belle amitié existant depuis l'enfance entre Matthias et Maxime, en même temps que brouiller l'harmonie qui régnait dans cette bande de potes (+ leurs "collatéraux").
Les six amis ont tous peu ou prou 30 ans, c'est dire qu'il est temps pour eux de décider du genre de vie qu'ils souhaitent, adultes, mener et avec qui. On comprend assez vite que le film traite de cette question : comment prend-t-on le virage des trente ans ? Et si on découvre alors, qu'on aime quelqu'un en dehors des normes habituelles, doit-on se taire et le perdre à jamais ou le lui faire savoir... au risque de provoquer du grabuge avec notre entourage et milieu ?
Tout l'intérêt du film réside dans la façon dont le réal va nous raconter comment l'histoire passe du point A (une bande très unie de potes, garçons et filles, qui se connaissent depuis la maternelle) au point B final (deux gars de cette bande s'avouent qu'ils s'aiment et l'assument donc forcément, avec les risques de remous divers que cela comporte, aux yeux de leurs potes et familles, car ils sont si proches les uns des autres que ça serait impossible de le leur cacher).
De ce "challenge", le réalisateur Dolan ne se tire pas si mal. Ok, certaines scènes semblent parfois un peu longues ou déjà vues ; certains procédés (accélérés, ralentis) ne nous surprennent plus ; la longue scène, durant laquelle Matthias nage dans le lac pour transcender son désir matinal, aurait pu être mieux filmée ; certaines actrices matures surjouent (notamment Micheline Bernard qui interprète Francine, la mère de Matthias, qui fut aussi quasiment, par "subrogation implicite", celle de Maxime) ; enfin, les scènes de pugilat entre Maxime et sa mère déficiente (Anne Dorval) sont difficilement supportables. En revanche, tout le vécu de la "clique" est brillamment rendu ; l'acmé du film (la longue scène du cette fois "vrai baiser" entre Matthias et Maxime) est non seulement parfaitement amenée et scotchante (notamment avec le travelling extérieur qui balaie tout un côté de la maison et nous montre donc ce qui se passe à l'intérieur), mais aussi relativement audacieuse, sans tomber dans le graveleux ou le grotesque.
Et tout l'aspect technique est très positif. Le montage est, comme toujours, soigné. La bande son très bonne (avec un mélange musique pop, musique classique au piano ou carrément symphonique). La photographie presque toujours excellente ; la bande des potes est filmée aux petits oignons, avec deux caméras à l'épaule (ai-je lu), c'est du coup très vivant et techniquement super bien maîtrisé (avec des zooms presque instantanés sur les visages ou "points chauds" du groupe).
Quant à l'argument proprement-dit de l'histoire (ce baiser fortuit entre deux amis d'enfance qui les trouble et les amène peu à peu à reconnaître et admettre qu'ils s'aiment), je ne suis pas sûr que ce soit psychologiquement très vraisemblable, mais bon, en tant que scénario, ça peut se défendre et le déroulement de celui-ci est fait avec suffisamment d'habileté pour le rendre à peu près crédible.


Conclusion. Idée de départ un peu faible mais exécution brillante à pratiquement tous les niveaux. Et cela donne un plutôt bon film. Si j'étais intégré dans une "clique" aussi vivante et chaleureuse que celle qu'il décrit, je me verrais bien vivre à Montréal.

Fleming
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le 21 oct. 2019

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