L'Architecte avait tout dit : la fonction de héros était un leurre, tout comme la liberté et le singularisme n'étaient qu'illusion. Quant à la matrice, elle était très loin de sa première itération.


Matrix Revolutions s'appliquera donc à rétablir l'équilibre de l'équation telle qu'envisagée par les frères Wachowski. Et tandis que la philosophie et les concepts maniés seront très longtemps mis en sourdine, ce troisième opus se mue en véritable film d'action débridé et, pour longtemps, sans égal dans le système au sein duquel il évolue.


Juste le temps de descendre au club Hel, histoire d'agiter sous le nez du spectateur les fondamentaux de la saga, et de voir Neo se morfondre dans une station de métro, puis rendre visite à une Oracle mise à jour, et nous voilà plongés dans une Zion apeurée. Entre course contre la montre sur le siège du conducteur d'un vaisseau virevoltant, et une invasion filmée comme un véritable film de guerre tonitruant. Le tout dans un ride des plus ébouriffants, énergiques et survolté : au ras du sol en suivant le sillage des chariots de recharges, dans la claustrophobie des tunnels et canalisations, ou encore au plus près des guerriers luttant pour leur survie contre les sentinelles, dans un déluge de douilles et de tentacules qui n'est pas sans rappeler la hargne et le surnombre de Aliens : Le Retour.


Tout comme cet ultime fantasme de geek mettant en scène des méchas surpuissants, dernière excroissance évidente des influences anime irriguant constamment la trilogie. Et nourrissant un peu plus encore la postérité de la saga Matrix en images mémorables et en séquences repoussant les limites du spectacle made in Hollywood.


Pour ensuite s'envoler vers la cité des machines, comme une réponse à la découverte de Zion dans Matrix Reloaded. Mais cette fois-ci, point de refuge insalubre ou de dédale de métal, mais une sombre apocalypse d'orages magnétiques constants, et un dernier voyage émouvant où Neo, aveugle, ouvre enfin les yeux quant au pourquoi de sa fonction au sein de la matrice.


Le noeud de ce Matrix Revolutions, une fois n'est pas coutume, se tient dans le monde réel, malgré cette confrontation aux accents wagnériens, sous une pluie diluvienne et devant un public inquiétant d'Agents Smith grimaçants. L'aspect comic book de l'entreprise reprend ici ses droits, avant d'être couplée à l'énergie déployée par un combat tel qu'imaginé dans un Dragon Ball Z.


L'effet de surprise se dissipe quelque peu, la fin de l'histoire se dessine comme l'Agent Smith : inévitable, puisque déjà prophétisée bien avant son commencement. Sauf que Matrix Revolutions pousse à son paroxysme son aspect religieux en demandant à son public, tout simplement, de s'abandonner et de croire, comme le faisait Morpheus en 1999.


Cet abandon, parfois difficile à avaler aux yeux de certains, a sans doute dérouté les plus déçus et critiques, alors que c'est pourtant l'un des fondements tant de la trilogie que du cinéma en général. Tout comme ce happy end et ce sacrifice qui déstabilise. Alors que les dernières images du film, sur fond d'une aube trop belle pour être tout à fait convaincante, ne font qu'entériner les propos de l'Architecte. L'illusion redémarre, se régénère, tandis que l'on arrache la possibilité, pour les esprits retors, de se libérer à nouveau.


Comme si la matrice s'envisageait finalement des deux côtés du monde post apocalyptique que l'on nous a présenté. Comme si la liberté, celle qui fait mal, quand on vient au monde ou quand on se débranche de sa servitude numérique, était bel et bien une chimère. Tout comme le choix de la pilule bleue ou de la pilule rouge régissait un répétitif déterminisme.


A l'image de l' entertainment actuel, peut être : les frères Wachowski n'ont-ils pas prophétisé là la mode des suites / reboots dont Hollywood use et abuse en désespoir de cause et de liberté créative illusoire ?


Behind_the_Mask, oracle au rabais.

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le 21 juin 2019

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