Toutes les bonnes choses ont une fin, dit-on. Que faut-il donc penser de ces histoires qui n’en finissent plus ? de ces suites de suites qui se succèdent jusqu’à l’overdose ? de ces franchises que l’on arrache à la postérité, les déterrant d’où elles reposent pour leur coller ce terme de Resurrections ?


Malgré toutes les questions que peut poser ce nouveau Matrix, ce sont les seules que j’ai retenues, et peut-être aussi les seules qui importaient réellement aux yeux de Lana Wachowsky. Matrix Resurrections a sonné en moi comme le cri de désespoir de sa réalisatrice : pourquoi vouloir des suites d’histoires achevées ? Et à qui donc appartiennent ces histoires ? à leurs auteurs ? ou à leurs producteurs, distributeurs, ou leur public ?


Le long-métrage n’a pas passé la demi-heure qu’il a déjà tout dit… Thomas Anderson, présenté comme le développeur derrière la conception d’un jeu vidéo révolutionnaire en trois épisodes nommé Matrix, se voit confier vingt ans plus tard une nouvelle mission : ressusciter son jeu. Et là vient la stupéfaction de son auteur, son incompréhension, ce… « mais pourquoi je ferais ça ? »
Pas besoin de lire bien longtemps entre les lignes. Ce « pourquoi ? » n’est pas celui de Neo, mais celui de Lana Wachowsky. J’ai raconté ce que j’avais à raconter, nous dit-elle. C’est fini. Qu’est-ce que vous voulez faire de plus ? Sans doute est-ce encore plus vrai pour sa sœur Lilly qui, elle, a clairement refusé de reprendre les rênes de ce projet qui appartient au passé. Mais la réponse est claire et cinglante. « La Warner nous met la pression », elle veut quelque chose qui va se vendre, une suite, et « cette suite, ils la feront avec ou sans nous. »


Voilà comment le film nous informe quant à sa propre gestation, comme pour se justifier de l’horreur qu’on va subir dans l’heure et demie restante. Les producteurs ont décidé de poursuivre Matrix, quitte à le saboter, quoique sa créatrice en dise ; autant qu’elle s’en occupe elle-même. Puisque Neo — en tant que concepteur de l’œuvre Matrix — est clairement identifié à Lana, que devons-nous conclure de l’état dépressif du personnage, gavé de ces pilules bleues censées l’aider à accepter le système ? Lana nous dit qu’elle en a marre. Un profond dépit qui culmine dans cette scène de brainstorming complètement lunaire, avec un Neo effacé, effaré, observant ses collègues marketeux s’agiter comme des enfants tentant de déterminer ce qui constituait le génie d’une œuvre qu’ils n’ont surement qu’à moitié comprise.


Il ne reste plus qu’à remplir le désormais fameux cahier des charges. Les pitits-robots-sidekicks-meugnons qui aident l’humanité, l’humour hors-sujet et mal timé (heureusement pas trop envahissant dans ce film), l’auto-référencement grossier (carrément des projections des films précédents, le bullet time), le fan-service constant et l’appel à la nostalgie (les caméos, les scènes rejouées), sans oublier l’inévitable pouvoir de l’amour d’une subtilité confondante dans cet opus… Matrix Resurrections se dévoile comme une mauvaise parodie des films originaux, trouvant son pinacle lors de la réapparition d’un Mérovingien clownesque et caricaturé jusqu’à la moelle que l’on devra subir de trop longues minutes.


Ça ne raconte pas grand-chose, ça n’est pas intéressant, ça n’est même pas bien filmé ; et c’est presque normal. Parce que Lana s’en fout. Ce film, elle n’en voulait pas. Son message est clair, et elle fait ce qu’il faut pour qu’on l’oublie. Elle se débrouille malgré tout pour construire de bric et de broc quelque chose d’un brin cohérent, mais l’édifice reste bien branlant.
Matrix Resurrections est film dépressif qui transpire de dépit. D’un dépit assumé qui, un mois après son visionnage, reste la seule impression qu’il m’ait imprimé. D’un dépit qui n’est pas sans rappeler celui de Mark Hamill lors de la promotion de ce huitième Star Wars qui n’avait rien compris du personnage qu’il incarnait, ou celui d’un Peter Jackson rappelé en urgence pour recoller les morceaux d’un Le Hobbit déjà abandonné par Del Toro. Et à chaque fois, on a pu constater le résultat.


Alors, à qui appartiennent les blockbusters ? Aux producteurs, oui. La Warner étant littéralement citée dans le film, le doute n’est pas permis. Sont-ils les seuls à incriminer ? Sans doute pas. Ce serait oublier que Matrix Resurrections parle aussi des « hommes-moutons » qui se complaisent dans cette matrice et qui ne sont pas prêts de disparaitre. Et les hommes-moutons, c’est nous. Ces spectateurs qui s’émerveillent de chaque suite, reboot, prequel ; de chaque annonce d’un nouveau Matrix, Marvel, Star Wars, Jurassic World, Terminator et consorts ; de chaque trailer qui voit leurs idoles ressusciter une fois de plus. Voilà qui a systématiquement le dernier mot.


Et si c’était précisément à leurs auteurs que les œuvres appartenaient le moins ? Parmi toutes les analyses qu’on peut faire de Matrix Resurrections, j’ai le sentiment — peut-être très personnel — que c’est la seule interrogation qui a motivé Lana Wachowsky à le sortir, ce film ; la seule qu’elle voulait qu’on comprenne. Et ça semble peine perdue, les rumeurs d’un Matrix 5 et d’une nouvelle trilogie allant déjà bon train et cristallisant les attentes... Peine perdue lorsque, lors des avant-premières de Resurrections, un journaliste vient questionner Lana sur une éventuelle suite, et que celle-ci répond : « Mes producteurs sont là-bas. »
Est-ce qu’un jour on pourrait pas respecter la vision de l’auteur ? accepter qu’il ait raconté son histoire telle qu’il le voulait, qu’elle soit achevée et qu’elle n’ait pas besoin de suite ? Est-ce qu’un jour on pourrait comprendre que ce n’est pas parce qu’on peut faire une suite qu’on doit la faire ?


Alors effectivement, on peut voir une certaine audace dans cette manière qu’a Matrix Resurrections d’exploser le quatrième mur pour s’attaquer directement à l’industrie (et au public) qui l’a enfanté. Mais ce qu’on y voit surtout, c’est un film de commande qui peine à s’inscrire dans la continuité des trois premiers, qui peine à renouer avec la singularité de ses ainés. Un film qui, finalement, n’avait pas besoin d’exister.

Gilraen
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le 13 mars 2022

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Gilraën

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