« Je voulais faire un film qui soit une expérience sensorielle, entièrement du point de vue d’un seul personnage. Mais c’est aussi une histoire d’amour un peu étrange, vous verrez », c’est en ces mots qu’Alice Winocour a présenté Maryland aux spectateurs. Cette promesse-là, de faire ressentir entièrement (et quasiment uniquement) les émotions du personnage principal, soit Vincent (Matthias Schoenaerts) un ancien soldat en plein syndrome post-traumatique, fonctionne plutôt bien. Le film est en effet assez prenant tant il met en scène images réelles et fantasmées, mêlées à une stylisation parfois forcée, pour mettre le spectateur dans un état d’alerte permanente. Pourtant, la toute première partie du film, celle où Vincent est encore dans le fantasme de la menace, où il entend des choses qui n’existent pas, imagine des drames qui ne se réalisent pas, est un plutôt faible. Alice Winocour y multiplie les ralentis pas toujours heureux. Ce qu’elle réussit pourtant le mieux c’est de filmer ce corps pris dans un huis clos, ou plutôt comme enfermé dans la villa d’un couple dont il va bientôt protéger la femme (Diane Kruger). Cette première partie présente Vincent comme un soldat traumatisé, ce qu’il a vécu ne nous sera livré que par une courte image (avec renfort de grosse musique) en guise d’ouverture du film. Si l’objectif est de ressentir ce trouble, avec des sons mis en avant, le spectateur étant enfermé comme dans une bulle qui représente la tête de Vincent, Alice Winocour reste un peu trop en surface. Elle pose un constat clinique trop rapide. C’est pourtant ce qui avait fait la force de son précédent film, Augustine, où tout reposait sur la relation médecin-malade et où devait être diagnostiqué un trouble étrange : l’hystérie. Là encore la réalisatrice se repose sur le corps. Car si Vincent est cabossé dans sa tête, son corps est entier. Une scène très courte dans un centre de « remise en forme » avec des soldats aux corps vraiment blessés nous fera ressentir toute la force de ce traumatisme entièrement psychologique, dur à définir et pourtant entêtant. Engagé comme garde du corps, Vincent ne peut que rester alerte, sans relâche, et ce avec le désir de repartir au plus vite au combat.


« La peur n’évite pas le danger »


Quant arrive la menace réelle, Alice Winocour bascule dans le thriller d’action à grands renforts de musique qui est souvent un substitut à la parole et est censée nous faire ressentir encore plus l’état d’esprit de Vincent. La musique est donc omniprésente alors que Vincent est un personnage à la Drive, taiseux, peu expressif et froid voire glaçant dans ses accès de violence. Dès que commence l’action pure et dure (toujours contrebalancée par des scènes de calme plat où Vincent ne parvient pas à faire retomber la pression) on ne possède comme clef de lecture que ce que Vincent perçoit et comprend. C’est donc sa vision à lui qui fait monter la pression, la villa se transformant en véritable piège où les caméras de surveillance filment le vide alors que les agresseurs surgissent de nulle part. Tout se passe comme si la première partie, très calme, présageait de la tempête qui traverse toute la fin du film. Alice Winocour met alors en scène des rituels : Vincent fermant les grilles placées devant les portes de la villa (et qui ressemblent à des barreaux de prison) ou encore ce même Vincent déclenchant l’alarme. On le voit donc se réfugier derrière une hyper sécurité qui pourtant ne le protège pas.


Dans la tête de Vincent


La mise en scène est plutôt fluide, accrochée aux corps et à cette villa menaçante montrée d’abord comme un lieu de fête, mais où la pluie peut venir à tout moment affoler les invités qui se replient dans ses murs. Alice Winocour construit des sanctuaires inviolables au sein de cette villa comme la cuisine, lieu de réunion de tous les personnages. Ces passages plus calmes permettent au film de monter en tension, d’escalader l’échelle de l’explosion (de Vincent comme du lieu). On ne saura pas vraiment d’où provient la menace. Vincent n’a pas le temps de le savoir et Jessie, la femme qu’il protège, s’en préoccupe finalement assez peu. Le personnage est d’ailleurs faiblement caractérisé, tant il est surtout un pantin au service d’un mari puis une petite chose à protéger, un fantasme pour Vincent. Dommage qu’un tel stéréotype perdure pour une fois qu’une femme prend les commandes, en France, d’un film d’action. Au début du film, quand « tout va bien », Jessie porte donc des mini-shorts, va à la plage, puis très vite elle bascule dans le cauchemar et s’habille en jogging. C’est un résumé plutôt simpliste, mais ça reste la seule image qu’Alice Winocour donne de Jessie. Pourtant, Diane Kruger apporte une forme de nuance au personnage ou du moins un peu de relief par sa forte présence à l’écran et la relation qu’elle noue avec Vincent (entièrement basée sur un jeu de regards). On reste quand même dans un schéma classique puisque la fameuse histoire d’amour, fantasmée elle aussi, présente Jessie comme la figure salvatrice, qui apporte l’apaisement. Résultat, si l’enrobage de Maryland est plutôt réussi – tension assez palpable, travail intéressant sur le son et la musique (sur laquelle Alice Winocour a cependant trop tendance à se reposer pour donner à ressentir) et mélange d’images réelles et fantasmées qui posent la question de leur statut au cinéma – le tout manque de consistance.


Alice Winocour a écouté le témoignage de nombreux soldats et a tout de suite pensé à Matthias Schoenaerts, parfait pour ce rôle. Il n’en fait jamais trop, même quand il y a des incohérences, sobre jusqu’au bout. Avec cet espace propice au cinéma – quand il n’y a plus de mots pour dire ce qu’on ressent, que le corps lâche – qu’il a ouvert, Maryland demeure inabouti, même s’il offre quelques sueurs froides. Mais les images s’enchaînent sans réel fil conducteur, le ressenti est donc biaisé car on peine parfois à se convaincre devant une situation souvent rocambolesque. Le calme avant la tempête, certes, mais l’espace clinique de la souffrance est trop étouffé par une grandiloquence qui freine la raison première du film : « faire ressentir ».

eloch
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le 26 sept. 2015

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