Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière d'art. Certes oui, l'apprentissage, qu'il soit artistique ou autre d'ailleurs, se fait en recopiant inlassablement ses prédécesseurs, en se plaçant dans leur sillage, en reprenant leurs gestes et leurs méthodes. Le mythe de la table rase... n'est qu'un mythe. Mais vient toujours le moment où il faut s'éloigner de ses maîtres. Et c'est un moment crucial : certains y arrivent et deviennent à leur tour des artistes dignes de ce nom, avec un art, une personnalité propres. D'autres n'y arriveront jamais. Hiromasa Yonebayashi se retrouve ainsi à la croisée des chemins. Après un premier long métrage sous le haut patronage d'Hayao Miyazaki, tout à fait honorable mais probablement réussi du fait de la présence du Sensei à l'arrière plan, puis un second long métrage beaucoup plus audacieux mais bancal, Yonebayashi est rentré dans le rang. Avec « Mary et la Fleur de la Sorcière », c'est indéniable, « il fait du Miyazaki ».


De fait, il reprend la petite sorcière Kiki avec son chat noir, lui adjoint la chevelure flamboyante d'Arrietty en forçant sur l'orange, et la fait évoluer dans un monde entre « Le Château dans le Ciel » et « Le Château Ambulant ». Mais à bien y regarder, la mayonnaise ne prend pas. Comme une façon éclatante de prouver à ceux qui en doutaient que l'art de Miyazaki ne se résume pas à des explosions de couleur dans tous les sens, ni à une imagination fertile purement visuelle. Les longs métrages de Miyazaki ont tous un souffle, une âme. Tous. Et même ses premiers essais dans l'animation avaient a minima de l'humour et une bonne dose de second degré, mais aussi un brin de poésie. Ici nous avons le droit à un banal film d'action typiquement de notre époque, c'est à dire très premier degré, manichéiste, sans le moindre temps mort... et donc sans les moments de respiration miyazakien, ces fameuses séquences contemplatives (la scène du train dans « Le Voyage de Chihiro » ou encore celle de l'avion en papier dans « Le Vent se lève »).


« Mary et la Fleur de la Sorcière » plaira sûrement aux enfants qui n'en demandent pas tant, mais l'adulte que je suis ne se considère pas satisfait. Je range ce long métrage davantage à côté des « Contes de Terremer », qui possède à peu près les mêmes défauts même si « Mary... » est plus réussi, que d'un film signé Miyazaki père ou d'un Takahata. Sans compter que « Mary... » lorgne également du côté d'Harry Potter, sans retrouver la cohérence ni le charme des premiers opus du sorcier aux lunettes. En fait le monde de « Mary et la Fleur de la Sorcière » peine à exister, il reste en deux dimensions. Il demeure tout à fait fictif, ce n'est qu'un décor, une sorte de faire-valoir sans profondeur. Alors bien sûr, visuellement, le film est digne d'un Ghibli. Il n'a pas la beauté d'un Miyazaki, mais le coup de crayon est toujours aussi splendide, tout comme l'animation, toujours aussi fluide.


En somme l'avenir dira si Yonebayashi a fait le bon pari. Nous verrons si le film a du succès et s'il permettra au cinéaste de repartir de plus belle, à l'assaut du meilleur de l'animation. Ou s'il le confortera dans l'académisme, en lui faisant prendre la voie de la facilité, celle d'une formule éprouvée. Oui, Yonebayashi, mais aussi le monde du dessin animé sont bien à la croisée des chemins. Et Miyazaki n'a toujours pas trouvé son digne héritier. Peut-être que l'animation japonaise a donné tout ce qu'elle pouvait, et qu'il faudra s'aventurer sur d'autres continents pour retrouver quelqu'un de sa trempe. L'avenir nous réserve sans doute encore bien des surprises !


Critique à retrouver sur mon blog ici.

ArthurDebussy
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2018, Top Studio Ponoc et Films vus au cinéma

Créée

le 24 févr. 2018

Critique lue 2.9K fois

58 j'aime

12 commentaires

Arthur Debussy

Écrit par

Critique lue 2.9K fois

58
12

D'autres avis sur Mary et la Fleur de la sorcière

Mary et la Fleur de la sorcière
SBoisse
5

Esprit facétieux de Miyazaki sort de cet homme !

Le studio Ponoc est l'enfant adultérin de Ghibli. Pressenti pour succéder au maître Miyazaki, le jeune Hiromasa Yonebayashi dirigea Arrietty, le petit monde des chapardeurs (2010), puis Souvenirs de...

le 7 mars 2018

55 j'aime

4

Mary et la Fleur de la sorcière
Edelwice
7

Mary et la fleur de l'espérance

Si nous avons fait des entrées avec Arrietty et Marnie, c’est parce que c’étaient des films « Ghibli ». Maintenant, la magie de Ghibli a disparu et dorénavant, nous devons continuer à attirer...

le 16 févr. 2018

46 j'aime

17

Du même critique

Mary et la Fleur de la sorcière
ArthurDebussy
4

« Kiki à l'Ecole des Sorciers »

Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...

le 24 févr. 2018

58 j'aime

12

Princesse Mononoké
ArthurDebussy
10

Le passage d'un monde à un autre

« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...

le 13 août 2016

36 j'aime

10

Il était une fois dans l'Ouest
ArthurDebussy
9

Western épique et lyrique

Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...

le 19 août 2020

32 j'aime

20