Le film est porté par la fougue de Catherine Frot, toujours aussi surprenante de films en films. L’histoire tient pourtant sur un timbre : une chanteuse persuadée d’être unegrande cantatrice chante abominablement faux, mais personne n’ose lui dire. Giannoli étudie de nouveau la force du mensonge, du monde fabriqué comme il l’avait déjà fait avec brio dans A l’origine. Ici encore le réalisateur étudie la formidable poussée fiévreuse par laquelle quelques personnes se mettent à créer un univers de toute pièce, l’énergie de tout un petit monde réuni autour de l’espoir d’une seule. La complication viendra avec le désir toujours plus grand de Marguerite, devant tant de louanges, d’étendre son public. Marguerite est un film de mise en scène dans la mise en scène, de personnages hauts en couleurs. Les plans sont construits tels des tableaux. Marguerite fait rire, rit elle aussi, mais émeut également par cette passion pourtant inaccessible qui l’occupe chaque jour entièrement. Catherine Frot offre à ce personnage réel ce qu’il faut de fantaisie et d’intelligence que la mise en scène accompagne. Une mise en scène pourtant de plus en plus voyeuriste, accentuée par le personnage du fidèle Maldebos et ses photographies comme des natures mortes pourtant consacrées aux nombreux portraits de « Madame » en star d’Opéra.
Comédie humaine
Tout tourne donc autour de ce mensonge qui devient de plus en plus grotesque, mais qui pourtant capte complètement le spectateur. Comme un homme, joué par Cluzet, mobilisait toute un village autour de la construction d’une route qui n’allait nulle part, Marguerite dépend de la farce qui se mêle autour d’elle. Libérée de la contrainte de plaire, son argent aidant, elle ose toutes les excentricités. Est-elle véritablement aimée ? Que cherche-t-on à la bercer ainsi d’illusions ? Le film ose tout nous montrer, lui aussi, même la perversité quand il faudra se résoudre à détruire le doux secret pour prendre l’ultime cliché, le plus beau. Autour de Catherine Frot gravitent d’excellents comédiens (du mari qui rechigne à écouter chanter sa femme en public mais maintien le secret en place à la jeune chanteuseMarguerite-film-xavier-giannoli-critique-cinema-catherine-frot-photo d’opéra). Cette comédie humaine donne à voir toute une société basée en grande partie sur l’apparence. Il faut s’y montrer, avec du fard, ne pas y faire de faux pas et sauver ce qui reste d’honneur. Ainsi bridée cette « société du spectacle » voit naître des êtres incompris, jugés différents, que ses membres se plaisent à observer pour mieux en rire, mieux les détruire. Marguerite était sans doute trop loufoque, trop libre finalement pour cette époque qu’elle a forcé à la saluer avec délicatesse, pour mieux l’enterrer en coulisses. Victime malgré elle de cette machination qu’elle vivait comme un « rêve éveillé », Marguerite a chanté jusqu’au bout, remettant en cause l’œuvre d’art même dans sa volonté d’être toujours belle. Elle dira d’ailleurs :« un jour il faudra jeter des œuvres d’art sur des tomates, ça changerait ». Or, il semblerait que tous ne soient pas prêts au changement. La roue tourne pourtant, mais la course folle des hommes vers toujours plus de plaisir continue, quitte à détruire les dindons de la farce. Mais il y a aussi ceux qui dénoncent le grotesque, s’en jouent tout en s’y perdant. Le film tient justement parce que Marguerite y croit, mais que l’on sait que tout peut s’écrouler d’un moment à l’autre. La construction dramatique n’en est que plus forte, car ce sont eux au fond qui sont ridicules, pas Marguerite qui ne fait qu’étudier un mécanisme, faire le portrait d’un personnage fascinant.