Maman, il y a des loups dans la maison !

Récemment, "Le Capital" de Costa-Gavras a relancé l'intérêt pour ce "Margin Call", comme étant un film comparable et comme étant, pour ceux qui se risquaient à comparer, le meilleur des deux - "Le Capital" ayant, selon la vindicte des médias, une vision critique du capitalisme trop frontale et trop commune pour être sincère.
Alors personne n'en a rien à secouer mais j'ai vu "Margin Call", hier, dans la nuit, comme si c'était un film d'horreur et que je me cachais derrière le coin du bureau en mâchouillant une friandise à la noix de coco.
Franchement, personne n'en à rien à secouer.


Je me suis alors demandé : Qu'est-ce qui fait que certains préfèrent Margin Call à Wall Street ou, dans un sens plus large, préférer Après Mai d'Assayas au Capital de Costa-Gavras ?


Peut-être que, justement, ces films, s'ils ont manifestement un parti pris, n'ont pas de critiques spécifiques à transmettre ? Margin Call, c'est un enfant de trois ans qui apprend à construire son identité en disant "Non papa caca" (rires). Je n'ai pas compris le sens de ce film-constat pas contestataire du tout et faisant semblant d'émettre des pointes satiriques. Il fait confiance à la tambouille habituelle des spectateurs et des critiques qui pêcheront dans cette oeuvre ce qu'ils voudront bien y voir quelque chose d'honnête.


La vérité est qu'un film avec un parti pris, même assez faiblard, comme dans Le Capital, fédère moins que ne fédère un film qui fait réfléchir sur tout et rien. Ça ouvre la cible "public". Ça décloisonne les potentielles réflexions.


Les gens raisonnables n'aiment pas qu'on pense à leur place ou que l'on condamne par avance, c'est pourquoi on ne préférera pas en qualité d'esprit Le Capital, même s'il dit vrai. Un énième Margin Call, c'est plus... ouvert, plus dans le dialogue. Mais alors je vous pose une question : qu'a-t-on de si moral, de si profond à gagner dans cette prétendue ouverture au dialogue ?


Je défie quiconque de me dire quelle est cette histoire de prêts hypothécaires dont les actifs dans le livre ont dépassés depuis plus de deux semaines la tendance historique des marges de volatilité. A trois reprises, dans le film, l'élément déclencheur est expliqué, avec plus ou moins de pédagogie (ça prendra d'ailleurs les cinquante premières minutes du film). Mais sans succès. La raison de ce galimatias ?


Elle est simple : il existe pour brouiller les pistes des responsabilités de cette firme qui coupe des têtes comme un lapin dépiauté sous cellophane dans un super supermarché. Il existe pour perdre le sens inné du capitalisme qui est de marcher sur vide en faisant des enjambées de plus en plus grandes et en s'étonnant à chaque fois, que son pantalon craque au niveau de l'entrejambe pour aérer ses testicules et son courage. Le scénario rend volontairement confus le déclenchement de son intérêt pour croire qu'il s'y connaît. Moi, cette histoire, j'appelle ça une cuistrerie. Dans ce sens, ce n'est pas très très courageux. Ce n'est certes pas le final au ton banal et résigné qui fait le lien entre les différentes crises économiques (sauf celle de 1929 !) qui nous sortira de la tombe des clébards !


Que veut-on montrer dans ce film franchement, Du cynisme enrobé de fatalisme ? Qu'il est logique d'être licencié pour couvrir le dynamisme du marché ? Qu'il est normal de parler de son travail en ayant le visage de ceux qui s'attendent à être chopé la main dans le sac ? Qu'il est banal d'être sous-pression en écoutant de manière totalitaire une musique douce et folkeuse ? Qu'il est sensé de voir une personne licenciée se faire escorter par un flic en costard de croupier ?


Margin Call hésite sur chacun de ses propres questionnements, passant tour à tour du fait social intéressant à un thriller léché et lancé sur des rails à une heure de la fin.
Franchement, ce film n'en à rien à secouer.


Je m'arrête là pour la négativité car les planches du film ne sont certainement pas pourries. Pendant la présentation du film, les éléments mis en place sont assez justes et donnent matière à être vus et exploités sous nos yeux. J'en veux pour exemple le symbolisme sans terminologie autour de la catastrophe et de sa médecine.
La majorité se passe la nuit pour commencer. C'est l'heure où tout le monde dort, fait des rêves de fortune ou des cauchemars sans queue ni tête. Nous avons ainsi l'impression qu'ils se sont tous réveillés d'un cauchemar en pleine nuit et que l'abstraction du cauchemar se prolonge en réalité. Il en reste des bribes traumatiques qu'il est difficile à effacer.
La nuit, c'est aussi la période glauque et cachée où les esprits sont débridés, où l'on se permet certains comportements de fait divers parmi les plus désinhibés, avant de se rendre les mains en l'air à la réalité de la routine. Ce passage au bar à hôtesses, chez les gagneuses, se révèle comme l'un des meilleurs moments parce qu'on touche du bout du doigt une vérité non acquise dans la conscience collective : où se situe la nuance concrète entre quelqu'un qui est exploité pour son corps et quelqu'un dont son entière pensée est au service de sa propre exploitation ? Diablement perspicace !
La nuit, c'est le repli, la retraite stratégique d'une longue journée où l'on a pas fait que ce dont on a envie. C'est le regard tourné vers soi dans le noir et qui te questionne comme si tu étais ventriloque : "Alors qu'est-ce que t'as branlé dans ton boulot ? Est-ce que ça vaut la peine de sacrifier sa morale pour du pognon ?" On imagine assez facilement ce qui conduit la métaphysique d'un trader et si, toi ami-camarade-lecteur, tu cherches une réponse à ses questions absconses de la nuit, reviens sans plus tarder au passage où l'on parle des putes à champagnes sur fond de caisse enregistreuse.


Les sons dans cette nuit sont très symboliques aussi, pour bien qu'on les discerne, comme l'absolu silence discerne le hululement d'un hibou. Ici, c'est la rumeur de la vile et des conversations de bureaux qui emboîtent le pas aux sirènes et aux hélicoptères qui fendent l'air avec leurs pâles, suggérant le secours, la rescousse, le sauvetage militaire. Militaire est cette réunion au milieu de la nuit recensant le gratin de la hiérarchie du capitaine qui préservera le territoire et la conquête jusqu'au troufion qui vit la réalité des tranchées économiques sur le terrain en passant par le colonel qui se tait par peur des représailles. Guerriers sont aussi ces constats où l'on apprend que chaque travailleur qui tombe ne tombera pas seul, pas sans créer une hécatombe. Dans Margin Call, on parle de survivants, on parle des meilleurs, on accroche le drapeau américain. L'adage dit qu'un drapeau c'est bien, quand il ne nous reste plus rien. Le capitalisme de tous poils, de tous bords et même de bâbord, a toujours mis un point d'honneur à créer le fantasme d'une bouée de sauvetage : un jour, c'est Dieu, un autre c'est la patrie, le suivant c'est un plan de relance keynésianiste. je sais que c'est culturel chez les amerloques de ne jurer que par le divin mais je dois avouer que la relation avec le divin dans ce film, mêlée à cette abstraite marée noire de l'économie qu'on voit arriver sur nos côtes, confine le secours possible à une providence incertaine. Comme s'il n'était pas pensable ou permis que les hommes s'en sortent par eux-mêmes et qu'on pouvait avoir confiance en eux. Le Seigneur est un alibi compréhensible mais facile si on le laisse au néant.


Margin Call se veut être le film de la rémission où l'on ne confie jamais ses pêchés. Le temps du film est l'exact temps qui nous sépare de la tempête morale et médiatique (séparons les deux, je t'en prie !), avant que la symphonie pastorale ne devienne qu'une insertion de crissements répétitifs dans un bonus track de speedcore militariste. Alors, plutôt qu'à songer aux bouées de sauvetage et à la médecine de catastrophe, on s'accroche surtout à ce que l'on a de plus cher : à ses enfants perdus ou invisibles, à la tumeur de son chien, à ses parents disparus, à la maison qu'on va forcément perdre avec un tel système dont il est trop sommairement rappelé que les crises et la paupérisation lui sont inhérents.


Pour votre gouverne, j'adresse enfin une note plus personnelle : sachez que les crises capitalistes sont inhérentes à ce système car une minorité agit de manière contraire aux intérêts du grand nombre, mais il y a surtout le fait que les véritables causes des crises sont sans cesse à chercher dans la pauvreté des classes laborieuses. Des travailleurs pauvres n'engendrent pas la crise mais l'avidité aveugle et nécessaire des patrons les condamnent à payer pour leurs scandales et pour leurs spéculations.

Andy-Capet
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le 22 nov. 2012

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