Marathon Man dure deux heures, et pendant 1h30, c’est un chef d’œuvre.
Bienvenue dans le savoir-faire des 70’s : le grain, la musique, la densité lumineuse, tout clame une époque révolue qui souhaitait donner à ses personnages une épaisseur sans pareille et s’acharnait à restituer des atmosphères lourdes et anxiogènes.
Le film s’ouvre sur un double programme particulièrement audacieux : instaurer une ambiance captivante et dense fondée sur l’ellipse et la lacune. Le montage alterné d’un récit qui se dérobe à mesure qu’il se déploie commence par susciter la curiosité. C’est l’acuité d’un regard presque documentaire sur la ville des minorités et des communautés généralement reléguées, qu’on évoque New York ou Paris. C’est l’application pudique avec laquelle se construit l’histoire d’amour entre les protagonistes, cocon de tendresse si éloigné du contexte violent qui l’encercle inéluctablement. C’est l’attention particulière apportée à l’architecture, à l’Opéra ou devant des productions ultra modernes : le décor a toujours une part active aux enjeux dramatiques des séquences. Les rideaux dans la chambre d’hôtel qui enveloppe et diffusent le sang des pugilistes, la lame qui passe dans le chambranle de la porte de la salle de bain. Cette scène, génialement dénuée de toute musique, est un sommet anthologique d’épouvante.
Les connexions entre les ellipses, différées avec insistance, génèrent une véritable inquiétude qui va prendre toute sa mesure dans la tension croissante que les séquences vont enchainer. Si Marathon Man a sa place dans l’histoire du cinéma, c’est en tant qu’étalon mètre du thriller : film redoutable, glaçant et d’une violence d’autant plus effrayante qu’elle se feutre dans l’impassibilité d’un visage inoubliable, celui de Lawrence Olivier lors de cette autre scène majeure, la fameuse torture dentaire.
Le déchainement de fuite et de retours à la case départ qui s’enchaine donne son plein sens au titre, et une tonalité véritablement cauchemardesque au film qui flirte avec le fantastique des meilleurs Polanski.

Seulement voilà, où court-il, ce récit, si les sommets déjà atteints ne sont pas dépassables ? En proie à un brutal coup de barre, la fin s’essouffle dans des séquences toutes plus convenues les unes que les autres, quand elles ne sont pas douteuses de par leur vraisemblance (comment Babe peut-il encore songer à faire appel à sa petite amie, que va faire Szell dans le quartier juif ?). Conclusion qui nous reprojette violemment sur les rails du produit formaté qui fera la fortune d’Hollywood pour les décennies à venir, à savoir la recette d’un final dans un décor atypique et les ficelles faciles du dénouement qui maintient le gentil dans sa gentillesse et le méchante dans sa méchanceté.
On a rarement vu un tel écart entre les promesses au long cours du film et les ratés de sa conclusion. Dommage.
Sergent_Pepper
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le 26 nov. 2013

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