Un chauffeur de limousine, un généreux pourboire, une fascination intarissable à l’endroit des célébrités, des relents d’opportunisme confessionnel, une allusion à double sens sur Jupiter : féroce et sans concession, David Cronenberg empaquette la moitié de ses ressorts narratifs au démarrage. Froidement, frontalement, au pas de charge. Un assaut satirique singulièrement corrosif, qui se poursuit rondement avec l’introduction d’une starlette vaniteuse d’à peine treize ans (Evan Bird, convaincant), figure hérétique dont le cynisme n’aura d’égal que l’insensibilité. À peine esquissée, la démonstration se révèle déjà trop appuyée, expressément dénuée de lyrisme et d’émotions.


Œuvre chorale, Maps to the Stars prend le parfait contre-pied des sacro-saintes usines à rêves hollywoodiennes. Cronenberg y sonde une collection d’hypocrites et de parvenus, incapables de stabilité et de compassion. Une étrange équipée au royaume dépravé des apparences, où d’aucuns carburent aux stupéfiants et aux antidépresseurs, où les excréments de vedettes se mercantilisent clandestinement et où une perversion généralisée, devenue toute-puissante, se peuple d’inconsolables tristesses. Un énième bûcher des vanités, se doublant d’une fresque hargneuse où névroses et refoulements marchent main dans la main d’un pas accablé.


S’employant à dynamiter un microcosme vénéneux, joliment photographié par Peter Suschitzky, David Cronenberg érige ses protagonistes en nuées d’indices révélateurs, témoins privilégiés d’un circuit cadenassé à double tour et accablé de tourments. Benjie, starlette envieuse et coutumière des cures de désintoxication, sacrifie son enfance sur l’autel fumeux du vedettariat. Havana, comédienne sur le retour, aussi immature que capricieuse, croupit malgré elle dans l’ombre de son illustre mère, et ira jusqu’à fanfaronner lâchement à la mort tragique d’un gamin. Se met ainsi en branle un catalogue tout entier des déviances humaines, suffisamment vague pour que chacun puisse y déceler quelque chose.


À certains égards, Maps to the Stars vient prolonger Antiviral, la dystopie esthétisée et glaciale charpentée par… Brandon Cronenberg. On y devine une même boulimie de gloire et d’argent, une même démence collective, à la différence près qu’elle s’exprime ici en plein cœur d’Hollywood, et non plus à la marge. Des cinéastes de la trempe de Billy Wilder, Abel Ferrara, David Lynch, Jean-Luc Godard ou encore Robert Altman s’y étaient déjà frottés par le passé, ce qui a pour effet de condamner à de gauches retours les performances outrées de Julianne Moore et Mia Wasikowska (la frangine schizophrène et pyromane). Les arguments scénaristiques, de faible teneur et souvent dépourvus de subtilité, ne seront pas plus à même de renverser la vapeur.


Car Cronenberg a beau protester bruyamment et mettre en scène avec une élégance épurée d’esbroufes, cela ne l’empêche pas d’enfiler les faiblesses conceptuelles comme des perles. Le Canadien en appelle ainsi à une impulsion fantastique, multipliant les apparitions fantomatiques comme autant de sentiments refoulés, mais sans jamais prendre la peine de creuser le sillon, ni même de l’expliciter. Bruce Wagner, son scénariste, confond quant à lui la superficialité des dialogues avec celle du milieu portraituré, comme si la première constituait la condition sine qua non de la seconde. Son trait sardonique, boursouflé à force d’insistance, s’abstient en outre de toute précision ou finesse.


On regrettera par ailleurs la froideur clinique de ce Maps to the Stars tout juste aéré par un unique point de vue « extérieur », celui du chauffeur-apprenti scénariste incarné par Robert Pattinson, alors même que les figures nocives s’amoncellent et que les schémas incestueux se répètent à l’envi, fertilisant les songes, Hollywood, la famille nucléaire classique et même l’imaginaire collectif.

Cultural_Mind
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le 4 déc. 2017

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